Poésie «Ô Djazia ! Ta salive est plus agréable à mes lèvres que la fraîche source de l?oasis après une longue course?». Chréa, Zouï, Souk-Ahras, Aïn Beïda, autant de gros bourgs mangés par la laideur et la mal vie, partout les rues y sont défoncées et les chèvres s?y gavent de sachets en plastique. Presque tous les jeunes sont au chômage et passent le plus clair de leur jeune vie dans ces cafés crasseux à battre le carton. Pourtant, dans ces contrées désolées des steppes et des Hauts Plateaux, se trouve le pays des Chaouias de la plaine, de ces Ouled Rachach, de ces Haraktas, de ces Henenchas qui ont donné à l?histoire des noms prestigieux, comme Massinissa, Jugurtha, saint Augustin, saint Donat et bien d?autres encore. C?est dans ces terres de bravoure, qu?est né l?un des premiers intégrismes chrétiens de l?humanité, le donatisme, mais aussi l?un des premiers terrorismes, lorsque les circoncellions massacraient les villageois isolés au nom du Tout- Puissant, il y a plus de 17 siècles. Mais c?est par ces contrées aussi qu?est passée, comme un terrible fléau, la mémorable invasion des Beni Hillal et Beni Soleïm, il y a un millier d?années. Le demi-million d?Arabes nomades, selon certains chroniqueurs, avait été envoyé en représailles contre les Zirides par les Fatimides à partir de l?Egypte. Les Arabes et les Berbères allaient s?entrechoquer en une terrible confrontation. Ils se combattirent longtemps des décennies durant. Ils se livrèrent une lutte sans merci, des guerres meurtrières. Mais le temps et l?accès de la plaine à la culture de l?autre allaient faire leur ?uvre et ces ethnies ennemies finirent par se mêler et parfois se fondre l?une dans l?autre dans cette multitude maghrébine qu?on appelle aujourd?hui les arabo-berbères. Il existe au sein de ces populations une fabuleuse chanson de geste qui permet, à travers une histoire romancée, de retrouver l?ambiance de ces temps épiques et cruels, c?est celle de Djazia et de Diab le Hillalien. Longue histoire en prose parsemée de petits poèmes, elle se raconte en plusieurs épisodes, suivant un rituel arrêté, toujours bien après le coucher du soleil. Dans un souffle poétique digne des grandes épopées, des conteurs éprouvés narrent l?âme même de ces populations telles qu?elles se sont formées, il y a un millier d?années. Histoire d?amour chevaleresque, elle n?est pas sans anecdotes croustillantes et parfois érotiques. Les duels loyaux, la ruse, la duplicité, la trahison, mais aussi la générosité, l?humour, la noblesse, les récits de la vie guerrière et nomade, se côtoient dans une riche narration dans cette chanson de geste qu?il ne faut pas laisser s?éteindre. Jusqu?à aujourd?hui, dans toutes les hautes plaines du Maghreb, des conteurs infatigables continuent de tenir en haleine leur auditoire, médusé d?écouter l?histoire de Diab Benghanem, le Hillalien, et de Djazia Bent Sekrane, la noble d?entre les nobles et dont tous les guerriers célébraient la grande beauté.