Résumé de la 3e partie Les deux alpinistes allemands firent preuve d?une grande imprudence car non entraînés pour une telle expédition. Maintenant, plaquée contre la roche, à sept cents mètres au-dessus du vide, la silhouette de Gary Hemming est animée de mouvements faibles et précis. L?un des Allemands lui crie : «Vous êtes grand, pour un alpiniste ! ? Moi ? Autrefois je mesurais 1,60 mètre, pas plus ! Mais pendant la guerre, des bourreaux japonais m?ont tiré par la tête et les pieds ! Maintenant je mesure 1,90 mètre !» Suspendu dans le vide, Gary Hemming a répondu avec le plus grand sérieux. Les guides et les deux Allemands, angoissés, l?écoutent bouche bée, sans même réfléchir qu?il n?a pas l?âge d?un vétéran de la dernière guerre. Il savoure un instant le plaisir de surprendre, puis éclate de rire : «Tout ça c?est faux ! En réalité, je ne suis né avec 1,90 mètre !» Cette périlleuse descente au-dessus des Allemands, qui fera l?admiration de tout le monde, voici comment il la résumera : «Un piton bien placé, un pic au bout d?une corde et les voilà. Hello, comment allez-vous ?» Tout cela paraît facile. Mais au moment où Gary Hemming prend pied sur la petite plate-forme, cent mètres plus haut, c?est le drame. Un alpiniste allemand, qui s?est joint à l?équipe de l?école de haute montagne pour essayer de rejoindre ses compatriotes, fait une fausse man?uvre. Il est étranglé par sa corde de rappel. Son cadavre reste suspendu au-dessus du vide. Une fois les deux Allemands hissés avec la corde, Gary Hemming remonte. La descente vers la vallée, sur la glace et dans la neige, avec ces deux hommes affaiblis, est encore un exploit. L?accueil à Chamonix est mitigé. Les journalistes allemands ne sont pas venus accueillir leurs deux compatriotes, qu?ils tiennent pour des irresponsables. Les guides de haute montagne boudent René Desmaison, parce qu?il n?a pas prévenu du chemin qu?il voulait suivre. La fiancée du malheureux sauveteur allemand resté pendu à sa corde de rappel supplie, en larmes, qu?on aille le rechercher. «Sinon j?irai moi-même !» dit-elle. Et, bien sûr, on fait les comptes : soixante-dix décollages d?hélicoptère à raison, chaque fois, de cent quarante francs d?assurances et taxes diverses, plus le carburant ; deux cent vingt-neuf journées de nourriture, de soldes ou de salaires pour quarante-quatre militaires, six gendarmes, dix civils bénévoles, huit guides professionnels ; mille deux cents mètres de corde, dont un tiers seulement récupéré, au prix de quatre cents francs pour soixante mètres de corde, etc. Et pour faire bonne justice, on exclut René Desmaison de la compagnie des guides : n?a-t-il pas vendu des photos et des textes à des magazines ? Quant à Gary Hemming, on ne peut l?exclure de nulle part. Et lui va vous surprendre. Et il va, une fois de plus, surprendre tout le monde. Plus échevelé, plus déguenillé, plus sale que jamais, celui que les journaux appellent le «beatnik des montagnards», est descendu tranquillement de l?hélicoptère. Il a pris son sac, l?a jeté d?un seul coup sur son épaule. Résigné mais souriant, il s?est laissé photographier. Mais quand on lui demande de raconter sa vie, il hausse les épaules et demande : «ça intéresse qui ?» On lui propose une fortune pour raconter son sauvetage. Il répond : «Je n?ai pas besoin d?argent.» On lui demande : «Pourquoi aimez-vous la montagne ? Pour sa solitude ?» Il répond : «La montagne, pour moi, n?est pas la fuite. C?est une expérience physique complète : une erreur et je perds ma vie. Je trouve dans la montagne ce que Hemingway trouvait dans la guerre. Mais moi, je n?aime pas tuer les gens !» Le journaliste de Paris-Match, Pierre Geoffroy, le voit le lendemain décacheter les télégrammes de félicitations, sourire et les jeter dans une vieille boîte à chaussures. «Les gens me félicitent comme si j?avais fait quelque chose d?important. Mais qui sait ce qui est important ou ce qui ne l?est pas ? Une fois, au Mexique, j?ai renversé une tasse de café dans le sable et j?ai trouvé que cet incident était très important. Parce que cette tasse de café, à ce moment-là, c?eût été un instant merveilleux et que le café salissait le sable blanc. Alors, le Dru, c?est important aussi. Mais ça ne tiendra peut-être pas aussi longtemps dans ma tête que la petite tasse de café mexicaine.» Il y avait sûrement, pour Gary Hemming, quelque chose de plus important que l?aiguille du Dru. Trois ans plus tard, dans un endroit isolé du parc national du Grand Téton, debout devant un grand lac, il s?est tiré une balle dans la tête sans laisser un mot d?explication. Il avait dû renverser, quelque part, une autre petite tasse de café, ce qui lui avait paru plus important que tout le reste.