Résumé de la 92e partie - L'enquête ayant conclu au suicide de Mme Boitard, l'Eglise ne peut lui accorder une sépulture religieuse... Mais c'est épouvantable, monsieur l'archiprêtre ! Vous ne vous rendez pas compte de la honte publique qui va être infligée à ce pauvre Boitard, notre ami commun, qui n'est en rien responsable de tout ça ! Cet enterrement civil va faire scandale !» - «Le scandale sera moins grand que si je faisais une exception à une règle absolue, pour l'unique raison que la défunte était l'épouse d'un personnage influent de la ville ! La seule chose que j'ai le droit de faire est de dire une messe pour demander au Bon Dieu d'avoir pitié de cette malheureuse... Je crois même que plusieurs messes ne seront pas de trop !» - «Et si moi, le médecin de la défunte, je vous certifiais, monsieur le chanoine, estimer, en mon âme et conscience, que Mme Boitard ne s'est tuée que dans un véritable accès de folie, donc qu'elle est irresponsable de son acte ?» - «Si vous me disiez ça, docteur, je crois que je vous embrasserais ! La responsabilité de la défunte n'étant pas engagée, elle pourrait être enterrée religieusement. Mais avez-vous la preuve de ce que vous m'affirmez là ?» - «Je l'ai. Malheureusement je ne peux pas vous la montrer.» Je pensais à la lettre dont je ne pouvais pas parler, mais qui était, à mon avis, imprégnée de folie. Après m'avoir observé pendant quelques instants, le chanoine Lefèvre dit doucement : - «Je vous crois, docteur. Elle aura les honneurs religieux...» Je respirai : de ce côté au moins, le scandale ne s'étendrait pas... Quand je revins dans le salon où se trouvaient réunis les intimes venus assister à la mise en bière, on chuchotait à voix basse... mais j'eus la désagréable impression que l'on se taisait à mon arrivée. Savaient-ils déjà ? L'amant aurait-il mis son projet à exécution ? Dans ce cas, aux regards de tous ces gens, je devais faire figure de monstre. Aussi fus-je très inquiet lorsque le mari, maître Boitard, me pria de vouloir bien l'accompagner dans le bureau de son étude. Il avait, disait-il, une communication importante à me faire... Je pâlis certainement quand je pris connaissance de la communication : c'était une lettre qu'il avait reçue, lui aussi, la veille au soir, et dans laquelle sa femme lui expliquait pourquoi elle s'était tuée. La raison invoquée était la même que dans la lettre envoyée au jeune lieutenant : le cancer du sein ! Dans cette lettre, comme dans l'autre, personne n'était nommé. Maître Boitard ignorait certainement l'existence de «l'autre» lettre, car il me dit avec une grande tristesse : -«Personne ne connaît cette lettre, docteur, en dehors de nous deux... Je n'ai pas voulu en parler au brigadier Chevart avant d'avoir eu votre avis. Il faut me le donner en toute franchise. Ce que m'a écrit ma pauvre Jeanne est-il vrai ?» Je fus long avant de répondre... De ma réponse dépendrait toute la suite. Une lutte sourde se livrait en moi : cette fois, j'en étais certain, je jouais toute ma carrière en présence d'un homme dont le calme effrayant m'impressionnait beaucoup plus que l'exaspération de l'amant. Finalement je décidai d'accepter tous les risques : - «Votre femme vous avait-elle mis au courant de sa mammite ?» - «Jamais, docteur.» - «C'est étrange : vous-même n'aviez pas remarqué cette petite grosseur qu'elle avait sous le sein droit ?» - «J'avoue que non.» (A suivre...)