Madrid, 17 avril 1993. Il y a foule, comme tous les jours aux alentours de treize heures, dans ce restaurant rapide appartenant à une chaîne américaine et situé au centre de la ville. Les clients, pour la plupart des employés des nombreux bureaux et magasins alentour, viennent y avaler sur le pouce un hamburger avant de retourner au travail. Avec l'animation qu'il y a, comment remarquerait-on ces deux hommes qui se lèvent juste l'un derrière l'autre et sortent de l'établissement ? Dans la rue, le dernier sorti aborde le premier et l'accoste. Il a une cigarette à la main. L'autre lui donne du feu, il le remercie d'un signe de tête et s'en va d'un pas rapide. C'est alors que quelque chose attire l'attention de plusieurs passants. L'homme resté seul ne bouge pas. Il fait un quart de tour sur lui-même, comme s'il semblait désorienté, puis il s'appuie à la vitrine du restaurant et, brusquement, s'effondre de tout son long. Des cris éclatent... L'homme, d'une quarantaine d'années, est affalé sur le trottoir dans une pose grotesque. Il a les yeux révulsés, la bouche ouverte. Une large tache de sang s'étale sur le côté gauche de sa chemise. Il n'y a pas besoin d'être médecin pour comprendre qu'il est mort et qu'il a été poignardé. Des exclamations fusent de toutes parts : «Je le reconnais : c'est M. N. ! Il travaille à la banque d'en face !» «J'ai vu l'assassin. C'est un type qui lui a demandé du feu. Il est parti par là !» Une poursuite s'engage, mais elle ne donnera rien. Le meurtrier a eu le temps de se fondre dans la foule très dense et il reste une affaire criminelle à éclaircir pour la police madrilène... Elle n'est pas au bout de ses peines. Une semaine plus tard, les enquêteurs ont bien du mal à s'y retrouver. En l'absence d'indice à propos de l'assassin, ils ont épluché tous les renseignements concernant la victime et les résultats sont pour le moins décourageants. L'homme, Federico N., trente-neuf ans, employé dans une grande banque nationalisée, menait une vie désespérante de platitude. Bon père, bon époux et employé modèle. Ses voisins n'ont signalé aucune dispute entre lui et sa femme Carmen. L'idée même que l'un ou l'autre ait pu avoir une liaison leur a semblé tellement absurde que, lorsqu'on leur a posé la question, ils ont éclaté de rire. À la banque, même son de cloche. Le directeur n'a rien trouvé à dire à son sujet. Federico N. faisait son travail discrètement et efficacement. Ses collègues sont tout aussi désorientés. Comment pouvait-on en vouloir à Federico ? C'est absolument incompréhensible ! Car - et c'est là le point le plus déroutant de cette affaire - on en voulait à Federico N. On a en effet retrouvé dans sa poche gauche une bande de papier sur laquelle était écrit en lettres découpées dans un journal : JUSTICE EST FAITE. Le meurtrier l'a, de toute évidence, glissée en même temps qu'il portait son coup de couteau... «Justice est faite» : cela signifie une vengeance, un règlement de comptes et rien n'est moins en rapport avec la personnalité de la victime... Alors, s'agit-il d'un fou, qui a frappé au hasard et qui se vengerait du genre humain dans son ensemble sur le premier venu ? C'est possible. C'est même probable. Et c'est ce qui ennuie le plus la police espagnole et le commissaire Felipe Lopez, chargé de l'enquête. Ce genre de maniaque recommence à tuer dans neuf cas sur dix. Il est à craindre qu'on se trouve au début d'une série de meurtres, qu'il s'agisse d'un serial killer... (A suivre...)