L'Etat, propriétaire des immeubles, s'était désengagé totalement. Sans avoir mis en place, de façon sérieuse, des syndics pour gérer les parties communes. Ainsi donc, pendant que chaque famille se repliait dans son fief d'appartement, la cage d'escalier, la terrasse, la façade, les systèmes collectifs d'approvisionnement d'eau potable et d'évacuation des eaux usées étaient livrés à eux-mêmes. Des conséquences inimaginables allaient en découler : les cages d'escaliers allaient devenir des sortes de grottes, sans éclairage, sans vitres, les murs décrépis et souillés, les marches d'escaliers cassées, les portes des placards de service arrachés, les ascenseurs hors de service, les boîtes aux lettres arrachées. Il n'y avait plus de femmes de ménage et c'était devenu une galère chez soi. Les appartements du dernier étage étaient inondés par les eaux de pluie car l'étanchéité des terrasses n'était pas entretenue. Les murs des immeubles se décrépissaient et étaient tous devenus de cette couleur indéfinissable qu'on leur connaît aujourd'hui. Il n'y avait plus de concierges pour veiller au grain car ils étaient tous devenus propriétaires de leurs appartements et avaient perdu leur emploi. Les nouveaux propriétaires ne savent pas s'organiser, cotiser et veiller à leur copropriété. Ils appliquent tous l'adage populaire bien connu : «Heddi beb dari.» (Ma responsabilité s'arrête au pas de ma porte). Aujourd'hui, la quasi-totalité des cités d'habitation se trouve dans une situation de no man's land civique et juridique. Il existe bien quelques lois pour les gérer, comme celles sur les administrateurs des biens, les syndics, mais rien de sérieux n'a été mis en application. Cela a eu de graves répercussions sur les mentalités et le piètre propriétaire de l'abominable cage à poule d'aujourd'hui est bien plus malheureux que le locataire d'hier, quand il y avait encore des concierges, de la lumière dans le bloc, des vide-ordures qui fonctionnaient, des vitres aux fenêtres et des façades ravalées régulièrement. Fort heureusement pour nos apparatchiks qui ont été à l'origine de cette immense catastrophe nationale, les belles résidences d'Hydra et d'ailleurs se sont embellies avec le temps et coûtent des fortunes aujourd'hui, n'en déplaise aux envieux et cinq dans les yeux.