Résumé de la 58e partie ■ Chantal n'a qu'un seul désir emporter sur le bateau son objet fétiche : le petit lapin en peluche rose... La directrice de «Marcelle et Arnaud» savait très bien ce que représenterait Jeannot-lapin pour Chantal : sous son aspect insignifiant, ce joujou cacherait aux yeux d'un monde étranger le plus lourd secret d'une vie de jeune femme... Un secret qui lui pèserait autant que son mal pendant tout l'exil. Ce que Mme Royer et le Dr Petit n'avaient pu concevoir, c'est que l'amant imaginaire, inventé par le cerveau enfiévré de la jeune femme, prendrait rapidement corps en la personne de Robert. Chantal était devenue la première victime de son mensonge en tombant éperdument amoureuse de l'ingénieur dont elle ne soupçonnait même pas l'existence au moment où elle avait écrit sa lettre de rupture à l'agent de change. La fiction, destinée à satisfaire son orgueil de jolie femme, s'était évaporée devant la réalité brutale qui avait transformé son cœur au point de le rendre humble devant celui d'un homme. A six heures du soir, des appels prolongés des sirènes lui indiquèrent que le paquebot entrait dans la rade de Singapour ; elle regarda par le hublot et vit une multitude de petites lumières étagées révélatrices de la terre ferme et d'un grand port. Elle se recoucha, sentant ses articulations s'engourdir : le mal semblait décidé à ne plus vouloir la lâcher. «L'Empress of Australia» s'était immobilisé de puis plus de deux heures, quand Williams pénétra dans la cabine avec une immense corbeille de fleurs étranges. — Je n'ai jamais vu de fleurs semblables, lui dit Chantal. — Je crois qu'on ne les trouve que dans la presqu'île de Malacca, répondit Williams. On vient de les apporter de terre pour Madame, avec cette lettre. La cabine s'imprégnait de l'odeur forte des fleurs inconnues. Chantal en avait presque mal à la tête en lisant la missive : «Je suis navré de n'avoir pu vous revoir avant de quitter l'Empress of Australia. Je m'en serais voulu de forcer la consigne rigoureuse que vous avez donnée au personnel des cabines. Toutefois, je me serais reproché de vous laisser continuer votre route sans vous offrir un gage fleuri et fragile, destiné à prolonger pendant quelques heures ce qui fut l'amitié de deux soirs. La fleuriste du bord n'avait pas grand-chose, je préfère vous faire envoyer ces «kaikawas»... Un nom bien étrange de fleurs exotiques, que je viens de découvrir dans la première boutique qui m'est tombée sous les yeux à Singapour. Je crois en la force mystérieuse de ces kaikawas, au parfum subtil, pour nous réunir de nouveau un soir où nous reprendrons la danse interrompue. Sera-ce une rumba aussi nostalgique que celle qui accompagnait d'assez loin notre rapide conversation sur le pont ?... (A suivre...)