Bénie soit la bouche qui dit : «Toute force finit par devenir faiblesse !» L?homme, superbe à trente ans, asservi jusqu?à cinquante ans, dépensera sans compter ses dernières forces et son ultime avoir pour l?éducation de ses enfants. Alors, à soixante ans, épuisé, il ne pourra plus que crier, critiquer et bientôt maugréer à voix basse contre sa nichée, nichée fraîchement émancipée qui n?en fera plus qu?à sa tête, en un mot, comme en dix, il ne sera désormais plus capable que d?aboyer et grogner comme la bête qui lui a alloué cet âge. Du groupe d?animaux qui avait prêté gage, il ne restait plus qu?un vieux chimpanzé bien sage, qui finit par avouer : «Les années que je t?offre, fils d?Adam, à mon corps défendant, ne sont pas véritablement un cadeau : tu le comprendras toujours assez tôt !», ricana le singe. Et c?est ainsi qu?à soixante-dix ans, l?homme se voit trahi par son propre corps qui se décharne, se courbe et se tend vers cette terre à laquelle, déjà, il aspire à retourner. Sa joie de vivre et sa peau se fanent, se froissent et se rident. Sa faiblesse extrême le contraint à dissimuler, à biaiser, à ruser comme le singe auquel il ressemble déjà physiquement ; mais cette faiblesse extrême lui apprend, peu à peu, à accepter sans rechigner la loi de Dieu. Triste destin que celui de l?humain me diriez-vous ! Je vous répondrais, noble destinée que celle de l?homme puisque pleinement vouée à l?amour, car enfin si l?être humain a voulu devenir : jusqu?à trente ans lion c?est par amour pour ses parents. Jusqu?à quarante ans, étalon c?est par amour pour toutes les femmes. Jusqu?à cinquante ans, baudet c?est parce qu?il a enfin admis qu?il n?a de véritable amour que pour sa propre femme. Jusqu?à soixante ans, chien c?est par amour pour ses enfants. Jusqu?à soixante-dix ans singe, c?est alors qu?il finit aussi par comprendre qu?il n?y a d?autre amour que celui de Dieu le Miséricordieux, car ce sentiment, dans sa grandeur, unit toutes ces amours antérieures. (Fin.)