«Je suis un voleur professionnel ! Je ne suis pas un violeur !» La déclaration éclate dans le prétoire, incongrue, tonitruante. Celui qui hurle à la fois cette profession de foi peu orthodoxe et son innocence est un homme encore jeune, la trentaine à peine. Ce qui frappe, quand on le regarde, ce sont ses tatouages qui envahissent jusqu'au visage. Sous les yeux, deux larmes d'encre lui donnent l'allure d'un pierrot triste au crâne rasé. Mais ce pierrot est aujourd'hui accusé d'avoir, récemment, sur un banc public, violé une jeune femme. Qu'on l'accuse de tout ce qu'on veut en matière de cambriolage, ça d'accord, mais celle-là, une rencontre de hasard pour cet errant toujours entre deux condamnations, celle-là, affirme-t-il avec vigueur, était consentante. C'est après qu'elle a dû penser à tirer quelques avantages de la situation. Non pas qu'il soit très riche, mais Wolfgang, Normand malgré son prénom germanique, est riche d'un lourd casier judiciaire. Dix ans ont passé depuis sa majorité : dix ans de tôle... Alors, si on l'accuse de viol, cela ne devrait pas faire trop de problèmes : ce sera vraisemblable... La jeune femme qui accuse, Maryvonne, malheureusement pour elle et ses avocats, est un peu floue dans son récit de l'agression. Bien sûr, c'était il y a deux ans, par une douce nuit de septembre. Tout ça est un peu loin. Elle est légitimement mal à l'aise. Ce qui fait qu'elle n'est pas très convaincante sur les raisons qui l'ont menée sur ce banc, destiné aux amoureux et aux promeneurs fatigués plus qu'aux violeurs et à leurs victimes. Ce qui n'empêche pas le procureur, très enflammé, de clamer entre huit et dix ans de réclusion criminelle pour Wolfgang qui vient quand même de faire vingt et un mois de prison préventive. Un peu long si l'on est innocent... Mais le «voleur professionnel» se lève et clame son innocence à sa manière : «Je ne suis pas un "pointeur" !» Il faut dire qu'il n'est pas antipathique malgré ses tatouages d'apache. Et ses avocats ont la langue bien pendue. Juste avant la délibération des jurés, Wolfgang s'arrange pour bien faire comprendre qu'il a, en plus des vols, une certaine ambition dans la vie. Quand le président lui demande, comme ça, juste pour voir, ce qu'il a l'intention de faire quand il aura recouvré sa liberté, Wolfgang, jamais pris de court, se lève et s'écrie, à l'étonnement de l'assistance : «Je veux la gloire... Demain sera mon jour de gloire ! ». Pour l'instant, on ne peut pas dire qu'il en ait vraiment pris le chemin, de prison en centrale... Miracle, le bon Dieu est avec Wolfgang car un verdict d'acquittement vient récompenser ses protestations d'innocence. Sans perdre de temps, muni d'un viatique d'à peine cent francs, le voleur non violeur retrouve la clé des champs... Ses avocats sont satisfaits, Maryvonne plutôt dépitée. Voilà une affaire réglée. Eh bien non, voilà une tragédie qui commence... Le lendemain, à quelques kilomètres, dans une bourgade typiquement méridionale, c'est jour de marché. Tout le monde est là, les gens du village du bas et ceux qui sont descendus du village du haut. Toutes les boutiques sont ouvertes et la foule, vêtue de couleurs vives, anime les rues. Mais il y en a un qui, malgré le soleil et les couleurs, fait tache sur le reste de l'humanité bourdonnante. On le remarque tout de suite, ne serait-ce qu'à cause des tatouages qui lui décorent le visage. Ces larmes sous les yeux attirent les regards des petits et des grands. Certains sourient, mais d'autres s'inquiètent car on remarque aussi que l'individu porte un revolver coincé dans la ceinture de son pantalon. On n'est pas au Far West ici ! Et, en plus, il a l'air passablement agité. (A suivre...)