Résumé de la 11e partie Arrivés enfin à Nancy, les fugitifs sont accueillis par Saïd, un compatriote, qui les héberge dans son restaurant. Les trois évadés restent cloîtrés dans le restaurant, descendant au moment des repas. Les clients, pour la plupart des Algériens, se retrouvent presque tous les soirs après le travail dans les chantiers dans la grande salle du Sétifien, comme un coin d?Algérie plein de senteurs et de soleil. Les plaisanteries fusent, mais aussi les souvenirs du pays, les bons, car on parle très rarement de misère dans ces moments privilégiés, comme des secrets longtemps gardés dans le c?ur, enfouis sous des tas de souffrances et d?injustice. Les clients écoutent presque religieusement en silence, ne perdant pas un mot sur les variétés de dattes de Biskra, les coutumes de mariage dans le sud oranais, ou l?apparition de la «rohania» sur le pont de Constantine... Puis, sur un geste de Saïd, tous les clients se lèvent, enfilent leurs manteaux à la hâte, et se sauvent avant le couvre-feu. Saoudi et ses amis, toujours assis dans le fond, le plus loin possible de la porte, près des escaliers, sont comme revenus à la vie après leurs épreuves et ils savourent ces moments d?amitié éphémères, oubliant pour un moment la précarité de leur situation et le danger qui les guette. Parfois, Salah, un géant unijambiste, entre dans la salle un moment, engage la conversation avec les habitués et, appuyé sur ses béquilles, finit toujours par entamer un ou deux «yéyé» saharriennes aux paroles pleines d?amertume, encouragé dès les premières notes par de sonores «Allah !». Puis, comme répondant à une question que personne n?a posée, il monologue seul, ponctuant ses mots avec le bout de ses béquilles, déclarant : ?Pourquoi je ne retourne pas au bled ? Hein ? Ma jambe, qu?est-ce que je peux faire maintenant en Algérie ? Qui voudra de moi ? C?est ici que je serai enterré. Et il retourne vers la sortie en marmonnant entre ses dents boitant plus lourdement qu?à son entrée. Les trois amis ne sortent jamais du restaurant, faute de papiers et, au bout de quinze jours, ayant repris force, ils tournent maintenant comme des lions en cage, craignant autant pour leur vie que pour celle de leur généreux hôte. Puis, un dimanche, vers dix heures, alors qu?ils prennent leur café dans la salle déjà bondée de Nord-Africains, la porte s?ouvre brusquement, et trois gendarmes font irruption dans la salle, armés de mitraillettes. L?un s?arrête sur le seuil et les deux autres s?avancent en criant : «Papiers, tout le monde debout, les papiers à la main !». Les évadés se regardent, consternés. Blêmes, la mort dans l?âme, ils attendent leur tour, lançant des regards insistants vers le comptoir, sans oser faire un geste. Saïd, sans hésitation, se faufile au milieu des clients rangés contre le mur, leur carte à la main. Il va vers le gendarme qui s?approche des fugitifs et lui murmure quelques mots mine de rien, en ramassant des verres sur une table. Le gendarme n?a aucune réaction. Il continue son contrôle et arrive devant Saoudi et ses deux camarades. Quelques secondes de flottement, et il passe, sans les regarder. Après le départ des gendarmes, les trois hommes grimpent dans leur chambre suivis de Arab et de Saïd. ? Heureusement, ce gendarme est français, et je le connais ! Dieu vous a protégés ! leur dit ce dernier. Il nous faut absolument des papiers ! Sinon on sera pris et tu seras arrêté avec nous pour complicité ? Je connais un commissaire en qui j?ai totalement confiance. Ce n?est pas un Alsacien. Je vais voir ce qu?il pourra faire pour vous. Plus tard, le Sétifien leur dit : ? Mes amis, pas de chance ! Le commissaire ne peut rien faire pour vous aider. Il dit que c?est trop dangereux pour lui, il est surveillé par les Allemands. Il m?a dit que seul le préfet peut vous établir de faux papiers pour continuer votre route. Les autres sont abasourdis. ?Il va vous arranger un rendez-vous avec le préfet. Une lueur d?espoir apparaît sur le visage de ses interlocuteurs. (à suivre...)