Résumé de la 10e partie Les trois Algériens tombent sur une famille de Français d?Alsace qui les nourrit et leur offre de nouveaux vêtements. Après avoir chaudement remercié leurs bienfaiteurs, les trois amis coupent à travers la forêt et au bout de deux heures, s?installent pour attendre la nuit. Leurs pieds, enfoncés dans des bottes en caoutchouc, sont protégés du froid par de grosses chaussettes en laine, et leurs mains se cachent sous des mitaines trop larges pour leurs doigts décharnés. Ils ont troqué leurs vieux manteaux en lambeaux contre d?épaisses vestes fourrées. Ils attendent l?obscurité, bien à l?abri, et en profitent pour se reposer.. La nuit est bien entamée quand ils se réveillent et reprennent leur chemin, portant, à tour de rôle, un sac plein de victuailles. La route est longue, bien longue, à travers la campagne. Au bout de quelques jours, malgré leurs efforts d?économie, leurs provisions s?épuisent et la diète reprend. Ils se réjouissent quand ils ont la chance de tomber sur quelques patates, mais les pissenlits et les racines sont à nouveau leur menu quotidien. Après une semaine de marche, quelle fut leur joie quand ils tombèrent sur une borne kilométrique indiquant, à la lueur de leur briquet : «Nancy 27 km». ? Nous y sommes presque, courage ! dit Saoudi à ses compagnons épuisés. Quatre jours plus tard, ils entrent dans la ville avec prudence, le c?ur battant, marchant vite, les mains dans les poches. Ils tournent un bon moment avant de trouver le restaurant que leur avaient indiqué leurs bienfaiteurs, et qui est tenu par un Algérien nommé Saïd? Saoudi, le premier, ouvre la porte, jette un coup d??il à l?intérieur et referme aussitôt. ? Filons vite, c?est plein de soldats. Ils reprennent leur marche droit devant eux à travers les rues pavées, longeant lentement les parcs, choisissant les faubourgs déserts. Le clocher sonne trois coups quand ils pénètrent à nouveau dans le restaurant. Seuls, deux clients sont attablés au fond de la salle. Les trois fugitifs s?approchent du comptoir derrière lequel un homme, visiblement le patron, les dévisage avec attention, en relevant légèrement les sourcils. Brun, le regard vif, sous un front légèrement dégarni, Saïd semble un homme jovial, et c?est avec un sourire qu?il accueille ces étranges clients : ? Bonjour, messieurs? Oui ? D?une voix à peine audible, Saoudi lui parle en arabe, et l?homme écoute sans l?interrompre, en jetant de fréquents coups d?oeil vers la porte. ? Vous êtes les bienvenus chez moi ! Je suis de Sétif ! Mais venez vite ! Ils pénètrent dans la partie du restaurant aménagée en un petit hôtel où Saïd héberge quelques compatriotes. Toutes les chambres sont occupées, et leur hôte décide de les loger avec Arab, un homme entre deux âges, que sa femme vient de quitter à la suite d?une scène orageuse. Ce dernier les accueille en souriant, répétant de temps à autre : ? Elle reviendra, Nénette, elle reviendra, va ! Elle ne trouvera jamais un homme comme moi, elle manque de rien avec moi? La chambre est spacieuse et très propre, et son locataire s?affaire à les installer le mieux possible. Un repas chaud leur est servi sur une petite table, et bientôt, une ambiance amicale s?installe entre les évadés et leurs hôtes. ? Vous pouvez parler devant Arab, c?est comme un frère pour moi, il vit ici depuis? combien déjà ?? L?autre hoche la tête, et dit en souriant : ? Vingt-deux ans mon frère, vingt-deux ans ! Au mur, sont accrochés des napperons blancs probablement brodés par Nénette, sur lesquels on peut lire des proverbes galants. Saïd et Arab retiennent difficilement leur émotion quand les évadés leur racontent ce qu?ils ont vécu. ? Dis donc, ce sont des milliers qui sont morts au front, alors ? dit Arab en abattant son poing sur la table. Et tu crois vraiment que la France va quitter l?Algérie pour nous remercier? J?en doute? Et pourquoi doit-on payer ce prix ? ? Sur ses lèvres minces, se dessine un sourire amer. Attendez que la guerre finisse et vous verrez, si nous sommes encore de ce monde, la France ne quittera jamais le bled, c?est un paradis, elle ne vas pas le lâcher? Un long silence, et chacun suit le cours de ses propres pensées, réfléchissant à la question, sans trouver de réponse. (à suivre...)