Résumé de la 95e partie ■ Le dimanche, les amateurs de bel canto peuvent entendre chanter Tulio Morro ... Le Révérend David Hall était déjà au bas de l'escalier. Après l'avoir regardé s'éloigner, Chantal ferma les yeux en souriant ; elle se demandait si l'excellent homme n'éprouvait pas une immense satisfaction à pouvoir, sous le prétexte de visites pastorales, s'évader enfin de la conversation monotone de son épouse ou d'Agathe ? Elle entra dans l'église catholique au moment où un chœur de jeunes filles lépreuses entonnait le Kyrie Eleison. Elle avait suivi les conseils du pasteur wesleyen uniquement par curiosité, se souciant assez peu d'assister à une messe et voulant connaître la physionomie de ce Tulio Morro dont la voix, si belle, n'hésitait pas à chanter l'amour dans les plantations d'hydnocarpus. Chantal n'attendit pas longtemps : l'admirable voix remplit la petite église avec un Credo dont la jeune femme ne saisit pas la portée liturgique mais qu'elle trouva majestueux. Ces chants en latin l'étonnaient : ils étaient beaucoup plus nouveaux pour elle que le dernier air à succès, rabâché par tous les postes de radio du monde. Elle regarda dans la direction d'où venait le chant et vit un gros petit bonhomme parfaitement ridicule, portant une perruque d'un noir outrancier. Tulio Morro, ex-premier ténor de l'Opéra de Sydney, incarnait le cabotin chanteur dans tout ce qu'il a de plus bouffon et de plus disgracieux. Comment se pouvait-il qu'un tel personnage possédât un organe vocal de cette qualité ? Marie-Ange l'accompagnait à l'harmonium. Chantal jugea préférable de fermer les yeux pour entendre la voix sans voir son propriétaire. Elle ne comprit pas plus le sermon en fidjien du Père Rivain que le prêche en anglais du Révérend David Hall, après s'être rendue conscien-cieusement aux deux offices pour faire plaisir à tout le monde. L'ambiance du temple wesleyen lui avait paru moins chaude que celle de l'église catholique. L'autel lui parut vide et la cérémonie presque trop simple pour une Chantal, athée, toute cérémonie religieuse devait être fastueuse et se dérouler avec un décorum indispensable. Si Marie-Ange accompagnait Tulio Morro dans l'église catholique, cette mission délicate était dévolue, dans le temple wesleyen, à Mrs. Hall qui s'appliquait sur son harmonium pour suivre les évolutions vocales assez incertaines d'un chœur mixte au premier rang duquel on reconnaissait Agathe : une Agathe resplendissante de santé et constellée de taches de rousseur. Agathe était amoureuse : Chantal s'en aperçut tout de suite. La fille du pasteur ne quittait pas des yeux le grand médecin pâle, l'Américain Fred. Ce dernier semblait ne prêter qu'une médiocre attention aux vocalises de la jeune fille en fleur et gardait les yeux obstinément rivés sur Chantal. Celle-ci se rendait bien compte que son arrivée inopinée et imprévue avait jeté le trouble dans la calme vie européenne de Makogaï. (A suivre...)