Résumé de la 88e partie ■ Le révérend avait réponse à tout. Son calme avait toujours raison des bavardages de son acariâtre épouse ou des questions indiscrètes d'Agathe... Mais il n'y avait pas que les lépreux : ceux qui gravitaient autour d'éux étaient peut-être encore plus atteints ! Chantal n'avait eu qu'à les regarder ou parler quelques instants avec eux pour s'en rendre compte... Ce Dr Watson, qui avait préféré abandonner une clientèle normale et infiniment plus rémunératrice dans la vieille Angleterre pour venir s'exiler à Makogaï, n'était pas un médecin normal. C'était un malade, lui aussi, empoigné par une fièvre l'obligeant à lutter contre un mal inguérissable. Comme leur chef, l'Américain Fred et le Fidjien ne pensaient qu'à faire des prélèvements, des analyses, des prises de sang ; ce n'était pas une vie normale pour des hommes jeunes et bien constitués. Ils étaient atteints dangereusement par une fièvre secrète que Chantal n'arrivait pas à définir : une fièvre qui dépassait son entendement... Et ce pasteur, à demi fou, qui partageait son existence entre l'étude des légendes fidjiennes et les savants breakfasts préparés par Mrs. Hall ! Avait-on idée de venir s'exiler au milieu des lépreux pour continuer à mener une bonne petite existence douillette, dans un home britannique, entre sa femme et sa fille ? Comment avait-il pu sacrifier ainsi la jeunesse de sa fille, la capiteuse et rousse Agathe ? Il n'y avait qu'une explication possible à ce mystère : le Révérend David Hall avait lui aussi la fièvre, celle qui vous force à convertir à tout prix les autres, même s'ils ne demandent rien... Cette fièvre — qui apparaissait à la jeune femme comme étant la plus inquiétante de toutes parce qu'elle s'attaquait sournoisement au libre arbitre des individus — avait atteint également le Père Rivain. L'église en planches de l'aumônier catholique, bâtie sur pilotis, ne pouvait pas être un temple de prières pour gens normaux habitués à la stabilité des choses. Cette église de pacotille serait emportée dans la grande fièvre de Makogaï comme le reste... Ces sœurs enfin qui portaient des cornettes telles des œillères, pour ne pas voir ce qui se passait dans la rue devant leur porte de la rue du Bac et qui n'hésitaient pas à regarder les êtres les plus laids du monde sur un îlot du Pacifique ! Elles surtout étaient complètement possédées d'une fièvre rare : celle du dévouement. Parmi ces femmes à cornettes blanches, Chantal entrevoyait surtout la figure très pure de Marie-Ange, dont les yeux noirs brillaient d'un feu intérieur dévorant le reste du visage ; Marie-Ange était la plus fiévreuse de toutes ! Son regard gênait Chantal : il reflétait trop d'amour, celui qui donne et qui ne veut rien recevoir en échange. Pourtant, Chantal, aussi était minée par une fièvre secrète. (A suivre...)