Le jeudi 25 janvier 1962, à quatre heures de l?après-midi, un gangster voit arriver deux policiers. Ce gangster a cinquante-six ans, et une longue carrière derrière lui. Nous l?appellerons par son vrai prénom, celui que personne n?emploie jamais. En Italie, on donne souvent ce prénom à des garçons : Salvatore? le Sauveur? En souvenir du Christ, évidemment. Il peut arriver que ledit sauveur devienne un gangster. L?homme qui voit arriver deux policiers, ce 25 janvier à quatre heures de l?après-midi, n?a jamais été gêné par le fait de s?appeler Sauveur et d?assassiner les gens. D?ailleurs, ce qui fait de lui un gangster extraordinaire, c?est que justement, on pense qu?il a sauvé des gens. Beaucoup de gens. probablement des milliers. Et d?une certaine façon, il a sûrement changé une page d?histoire de la guerre. Du moins tout le monde le pense, mais personne ne pourra jamais le prouver. Pour cela, il faudrait qu?il parle? ou qu?un autre membre de la Mafia rompe la loi du silence. Ce qui ne s?est jamais vu. Le preuve c?est qu?au moment où nous publions cette histoire, personne n?a encore parlé. Pourtant, un homme, qui n?appartient pas à la Mafia, a connu la vérité. Cet homme aurait pu faire fortune en la racontant dans un livre. Il était sûr de le voir traduire en plusieurs langues? Il s?appelait Thomas. Au moment des faits, il n?est pas un gangster comme Sauveur, il est tout le contraire : il est procureur. Mais jusqu?à sa mort, il aura beaucoup plus qu?un b?uf sur la langue : une montagne ! Et même si des hommes vivants connaissent actuellement le secret, ils ont pour se taire la raison la plus puissante du monde : la raison d?Etat ! Pour l?instant montons, avec deux policiers, les quatre étages d?un immeuble de Rome : très exactement, au 201 de la via Parco-Ricci. Nous sommes donc le jeudi 25 janvier 1962. C?est Sauveur qui ouvre la porte. Il a l'air d?un petit comptable avec ses cheveux gris bien peignés sur le côté, la raie à gauche, et ses lunettes cerclées de fer. Il n?a plus que vingt-cinq heures à vivre. C?est la seule chose qu?il ne sache pas. Pour l?instant. On connaît, du moins en substance, les termes du dialogue entre Sauveur et les deux policiers. Car, bien sûr, ils feront leur rapport. Et la presse, dans les jours qui suivront, s?acharnera à le reconstituer. Quand Sauveur, le gangster fatigué, ouvre la porte aux deux jeunes policiers, il leur dit : «Encore vous ? Qu?est-ce que vous cherchez ? Vous ne me ficherez jamais la paix ? ? Vous avez mauvaise mine, Salvatore? Vous sortez trop avec la petite Adriana? Elle est trop jeune pour vous ! Elle va vous tuer?» En Italie, même si on vient pour l?arrêter, on dit «vous» à un gangster, surtout de l?envergure de Sauveur, quand on sait qu?il est l?un des deux ou trois «parrains» de la Mafia. En revanche, le «parrain», lui, tutoie le jeune policier : «ça ne te regarde pas, jeunot ! Dis-moi ce que tu veux encore ? ? cette fois, Salvatore, nous venons pour perquisitionner ! ? Et qui est celui qui t?envoie petit ?C?est Enrico ? ? C?est le commissaire Enrico Giordano? Nous avons un mandat ! ? Eh bien, puisque vous avez un mandat, fouillez ! Mais vous ne trouverez rien ! Qu?est-ce que vous cherchez ? ? De la drogue, Salvatore. Nous pensons que vous êtes encore dans le circuit. ? Et vous êtes assez bête pour croire que si je l?étais je cacherais de la «coco» chez moi ? A cinquante-six ans ? Avec ma réputation ? ? Salvatore, vous dépensez une fortune aux courses, et la petite Adriana vous coûte cher ! Et vous avez toujours des costauds qui vous suivent dans les boîtes de nuit. Vous les payez sûrement plus cher que notre salaire d?inspecteur ! Et vous n?avez pas d?autre appartement que celui-ci. Vous n?êtes plus en Amérique, Salvatore, et vous avez vieilli? Peut-être, avez-vous de la drogue dans cet appartement, et si c?est le cas, nous allons la trouver. Tout ce que nous vous demandons, c?est de rester tranquille?» (à suivre...)