Exemple ■ La littérature entretient inévitablement un rapport avec l'Histoire, elle est le lieu où des écrivains la racontent. C'est le cas de Rachid Boudjedra qui, sciemment ou inconsciemment, s'est intimement intéressé à l'Histoire pour construire son univers romanesque. C'est le cas aussi de Mouloud Mammeri ; celui-ci, en s'y adossant, a accordé de l'importance à l'Histoire en mêlant à son imaginaire romanesque des tranches de vie, des moments d'Histoire, et même ses expériences personnelles en relation avec son contexte socio-historique. Pareil pour Kateb Yacine qui, dans Nedjma, donne un large écho à l'Histoire. Assia Djebar a aussi convoqué l'Histoire. Même l'œuvre de Frantz Fanon peut constituer une source intarissable pour étudier l'Histoire de l'Algérie relative à la colonisation et ce, sur le plan sociologique, philosophique ou encore psychiatrique. Le patrimoine intellectuel de Frantz Fanon contribuera effectivement à l'enrichissement du domaine de recherche sur l'histoire de l'Algérie. Faisant appel à l'Histoire, la pensée de Frantz Fanon, aussi bien magistrale q'universelle, reste à nos jours, une référence tant elle est d'actualité. Jean Amrouche, considéré comme «l'éternelle conscience d'un peuple contre le colonialisme», s'est profondément imprégné de l'Histoire pour construire son écriture et ce, par l'utilisation, tout en le retravaillant, du mythe de Jugurtha, ancien roi berbère qui s'était rebellé contre Rome. L'objectif était de traduire «le caractère imprévisible de l'Algérien, généreux, passionné et très attaché à sa liberté». Ce mythe de «Jugurtha», symbole du soulèvement contre l'oppression et aussi l'illustration de la personnalité collective et individuelle du peuple algérien, a été ensuite repris et cité dans la littérature algérienne. Il y a aussi Taos Amrouche qui, en assimilant à son imaginaire littéraire, proverbes, dictons, légendes..., s'appuie sur l'Histoire. Et même si elle s'était employée à élaborer un gisement considérable de mythes, cela n'en demeure pas moins que le mythe est en mesure de nous renseigner sur notre Histoire. Mediene Benamara, chercheur et universitaire algérien, dira, à ce propos : «Un mythe n'est pas une connaissance dégradée de l'Histoire, c'est bien au contraire une évidence culturelle, et sans mythe on vivrait une sécheresse mémorielle.» Tous ces écrivains qui consignent, intentionnellement ou pas, leur volonté dans leurs écrits, l'Histoire, avec laquelle ils se mettent en étroite relation, s'avèrent, à leur manière, des archéologues de la mémoire, en captant des instants, des situations, des images et d'autres faits de notre vécu historique. Tout écrivain, et en reprenant l'expression du dramaturge algérien Slimane Ben Aïssa, est «le fils de l'Histoire». Ainsi, la littérature, qui se constitue comme un lieu de mémoire, va s'interposer entre l'Histoire et les lecteurs. La littérature permet de partager des expériences, de faire revivre une époque, des événements... Tout cela se fait par le biais de l'imaginaire littéraire de l'écrivain. Autrement dit, la littérature réactualise le moment historique, réorganise autrement, selon les besoins de l'écrivain, le récit historique. Force est de constater que ce qui est raconté dans le roman comporte une grande part de subjectivité, puisque le texte littéraire est un prolongement de l'Histoire par l'imaginaire ou la sensibilité du sujet écrivant. «Même l'Histoire racontée par les historiens comporte une dimension subjective», soutient Nadjet Khedda, et d'abonder : «Cette séparation entre l'objectif et le subjectif est une séparation pratique, mais qui n'est pas précise, donc même dans l'Histoire il y a une dimension de subjectivité. Pourtant, l'Histoire se propose d'être objective et son ambition est de l'être. Tandis que la littérature, elle, ne se défend pas ; bien au contraire, elle est subjective, puisqu'elle exprime la sensibilité d'un individu qui est un individu singulier, remplaçable par aucun autre, qui a ses fantasmes, qui a son histoire personnelle, qui a ses mythes, qui a sa formation, et donc la littérature est nécessairement pétrie de subjectivité. Ce qui ne veut pas dire qu'elle est fausse, parce que la subjectivité n'est pas ennemie de la précision.» A la question de savoir si l'on peut se fier à l'Histoire racontée dans le roman, Nadjet Khedda répond : «On ne peut même pas se fier à l'Histoire qui est racontée par un historien, c'est-à-dire que le travail critique est un travail permanent, il ne faut jamais prendre pour vérité première, pour vérité définitive ce qui est écrit ; si c'est écrit, c'est que ça s'est pensé, et ça s'est pensé par qui ?, ça s'est pensé par un individu. Et cet individu est soumis, comme à nous tous, à l'erreur. Il n'y a que les textes sacrés - et encore souvent il y a des exégèses qui sont contradictoires les unes des autres - qui sont considérés comme délivrant une vérité définitive. Mais rien de tout le reste ne livre de vérités définitives, donc croire ce qui est écrit dans le journal, dans un roman, dans un traité d'Histoire, c'est une paresse intellectuelle. Ce n'est pas une question de foi, c'est une question d'évaluation, et cette évaluation elle est rationnelle. On pèse le pour et le contre, et donc il y a tout un travail critique qui se fait. Et après on peut adhérer au récit que l'on découvre dans un roman ou à une explication donnée dans un traité historique, et où l'on peut lui apporter des compléments de critiques.»