Portrait Nacéra Benseddik (*) docteur d?Etat en archéologie a derrière elle une carrière de 30 ans. InfoSoir : Qu?en est-il de la recherche archéologique en Algérie ? Nacéra Benseddik : Je suis archéologue et je vis les pires difficultés pour exercer tranquillement mon travail. Je dirige depuis 5 ans un projet de recherche algéro-français portant sur l?épigraphie latine ? c?est l?étude des inscriptions ? qui devrait établir le corpus de toutes les inscriptions de Maurétanie sétifienne, soit toute la région centre orientale de l?Algérie (de Sétif à Béjaïa), qui a été lancée par l?Agence nationale d?archéologie et le Centre de recherches anthropologiques, historiques et préhistoriques. L?équipe algérienne éprouve des difficultés énormes pour achever son travail, alors que le travail théorique (documentation, laboratoire) a été achevé en France. Nous rencontrons des problèmes pour nous déplacer sur le terrain, pour avoir des documents? La semaine prochaine, je dois aller à Sétif et je ne sais pas si je pourrai le faire. Chaque fois, il y a un empêchement et cela dure depuis cinq ans. Avez-vous tenté de dénoncer ces agissements ? Oui, plusieurs fois, sans relâche et à différents niveaux. Mais je n?ai eu aucune réponse. La recherche est minimisée à 1% de ce qu?elle devrait être ; il y a trop de problèmes administratifs et de formation et peu de publications. Après l?indépendance, il y avait le Bulletin d?archéologie algérienne, qui a dû s?arrêter en 1986 pour insuffisances financières. Nos chercheurs essaient de survivre, d?écrire, de publier? Aujourd?hui, ils se contentent des moyens dérisoires mis à leur disposition. Un archéologue ne peut financer sa recherche et il n?y a pas de sponsor qui s?intéresse à ces sujets. Que pensez-vous de l?état des sites archéologiques ? C?est un massacre. L?ancienne ville de Tipasa n?est pas qu?à l?intérieur du parc clôturé ; le site antique ? Tipasa punique et romaine ? est au-dessous du village actuel, érigé en wilaya. Il n?y a aucun contrôle et ces endroits font l?objet de pillage et de dégradation. A Constantine, le projet de l?autoroute Est-Ouest est édifié sur une dizaine de sites archéologiques ; ils ont été détruits. Des millions d?informations sur notre passé ont ainsi été effacées à jamais. Il n?y a aucune équipe d?archéologues sur le projet. Les travailleurs de l?entreprise ne le savent pas, moi je l?ai découvert par hasard. J?ai alors adressé un rapport, en 2002, à l?Agence d?archéologie et à la direction du patrimoine. En vain. La situation est la même dans plusieurs wilayas, à Oum El-Bouaghi, Aïn El-Fouak, Ksar Sebakhi, Mila, Alger? Des fouilles illicites, pas de gardien, des vols et des pillages. Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation ? Il faut qu?il y ait une politique patrimoniale de préservation. Il faut prévenir, car nous n?avons pas les moyens de guérir. Il faut qu?il y ait des équipes d?archéologues, toutes spécialités confondues, qui suivent les projets avant même de creuser pour sauver ce qui reste. (*) Actuellement, Nacéra Benseddik enseigne, à l?Ecole des Beaux-Arts d?Alger, l?histoire des religions et l?archéologie du Maghreb antique.