Vocation Saïd enseigne la langue arabe depuis près de 10 ans dans une école primaire à Alger. Ce métier, il dit l?avoir choisi et surtout aimé. «J?adore les enfants. J?aime aussi aider et apprendre, c?est un acte de générosité et d?amour, vous savez ce que cela veut dire inculquer le savoir à des générations ?» Il se tait attristé, boutonne son chemisier bariolé puis enchaîne : «Je touche 17 000 DA. Ma femme est diabétique et je n?arrive plus à lui acheter tous ses médicaments, déjà qu?ils coûtent les yeux de la tête. J?ai à ma charge toute une famille.» Saïd habite avec ses cinq enfants dans un F2, loué dans un quartier populaire pour 7 000 DA. «C?est un salaire de misère qui ne me permet pas de mener une vie décente. A chaque fin de mois, je recours au prêt. C?est honteux ! Je n?ai pas d?autres ressources.» Il affirme que pour chaque fête religieuse, il doit économiser durant toute une année pour permettre à ses enfants d?acheter de nouveaux habits. «Le ramadan, je ne vous raconte pas. Je n?ai aucun avantage, à part les vacances scolaires.» Comme anecdote, Saïd raconte qu?une fois, il a entendu les élèves rire sur sa façon de s?habiller, qui est «démodée». «J?ai été blessé au plus profond de moi-même. Ces élèves n?avaient pas tout à fait tort. Nos élèves sont mieux lotis que nous. Ils s?habillent luxueusement et se permettent même des portables.» Un autre enseignant, mais la même amertume et la même détresse. «Nous ne disposons pas de matériel en classe. Souvent, c?est moi qui achète la craie, le cahier de classe, les fiches de cours et les livres des programmes et ma blouse. Tout cela avec un salaire de 18 000 DA», lâche Mohamed, 40 ans, enseignant de mathématiques dans un lycée dans les environs d?Alger. «Les élèves d?aujourd?hui sont insupportables et perturbateurs. Ils ne nous respectent plus. C?est difficile d?enseigner de nos jours, je vous l?assure.» Mohamed ajoute que souvent il est plus préoccupé par ses soucis sociaux et familiaux que par autre chose : «Comment voulez-vous que nous apprenions aux enfants la justice, l?histoire et la science, alors qu?on ne nous permet même pas de nous remplir le ventre ? Parler actuellement des nouvelles technologies de l?information, c?est aller vite en besogne. C?est de la démagogie.» Notre interlocuteur raconte qu?une fois, en montant dans le bus pour aller à son lycée, il a été tellement bousculé par les voyageurs que son cartable a glissé et que ses cahiers et ses affaires se sont retrouvés par terre. «Certains se sont mis à rire, alors que d?autres ont dit que c?était clair que j?étais un enseignant. J?étais gêné et blessé. Mes élèves se font accompagner alors que moi je me fais piétiner chaque jour dans le bus.»