Nous avons vu que la tradition algérienne accorde une grande importance à la parole : parler ne signifie pas seulement prendre la parole mais avant tout savoir parler, c'est-à-dire s'exprimer selon les règles de la bienséance. Maya?arefch yahdar, dit-on d'une personne qui ne sait pas convaincre son auditoire ou alors qui emploie les mots qui ne conviennent pas à la situation. Au contraire, on dira de celui qui mesure ses mots, qui n'ouvre la bouche que pour dire des choses sensées : ya?aref yehdar ! Les mots grotesques ou trop familiers sont, bien entendu, proscrits par la bienséance. Ainsi, on ne dit pas «excréments» mais «souillures», on ne dit pas «uriner» mais «arroser l'eau» (rrach lma'), on ne dit pas «ma femme» (marti) mais «mon épouse» (zwadjti), et tous les termes se rapportant aux parties génitales ou à la copulation sont prohibés ! Le corps appartient au domaine de l'intime et, quand par obligation on doit en citer les parties cachées, on le fait par euphémisme. Quant à ceux qui contreviennent à la règle ou se montrent grossiers, on les vilipende et on les honnit. Leur parole est assimilée à une mauvaise action : iquI klam l'îb (il dit des paroles honteuses) ou alors it'iyah l?klam (il fait tomber les mots) ! Il ne s'agit pas seulement d'une expression, mais d'une image : les mots grossiers, comme les mauvaises pensées, existent, mais comme ils sont honteux, on doit les tenir cachés ; en les prononçant, on les fait tomber, c'est-à-dire dans le domaine public. D'ailleurs, le verbe t'ayeh', au propre «faire tomber» a pris, dans beaucoup de régions, le sens de proférer des grossièretés, dire des insanités, et parfois même insulter quelqu?un, se montrer impoli avec lui. Ainsi, ma t'eyah'lich signifie aussi bien «ne me dis pas de grossièretés» que «ne me manque pas de respect».