Le porte-parole du FFS, Karim Tabbou, revient sur les raisons politiques ayant conduit son parti à rejeter le référendum sur la charte pour la paix et la réconciliation et sur les prochaines élections partielles. Vous vous êtes prononcés pour le boycott du référendum sur la charte pour la paix et la réconciliation. Quelles sont les motivations de cette position ? Est-ce qu'on peut appeler le document de Bouteflika une charte de réconciliation ? C'est un pacte d'entente entre les différentes parties responsables de la tragédie nationale. Ces parties comptent s'octroyer un non-lieu par la voie référendaire en manipulant une énième fois le suffrage universel et en interdisant tout débat politique sur la question. Pourquoi a-t-on peur de la vérité et de la justice ? Pourquoi cet empressement à vouloir faire voter par les Algériens un projet que même le chef de l'Etat, qui est officiellement chargé de sa promotion, n'arrive plus à lui donner un contenu consistant. Le spectacle électoral qui se déroule sur la scène, pourtant surchargée de clientèles, montre que ce sont les mêmes acteurs ayant combiné, inspiré et dirigé la sale guerre contre la société, ses valeurs de résistance et ses représentations politiques, qui reviennent en surface avec les mots d'ordre de paix, de réconciliation et de stabilité. C'est la poursuite de la guerre sous couvert de la paix et de la réconciliation nationale ! Que veut dire un référendum alors que le débat est clos avant même de l'avoir engagé ? Quelle crédibilité peut avoir une consultation populaire dans l'absence de la moindre possibilité de s'exprimer librement ? Le texte de la charte contient des dispositions punitives à l'égard de ceux tentés de réclamer la vérité après le référendum. L'intention est claire : clouer les portes du débat en imposant l'oubli et le silence. Au FFS, nous ne cesserons pas de demander la vérité et la justice, de militer aux côtés des victimes de la violence du pouvoir et des groupes islamistes armés en faveur d'une solution politique, pacifique, globale et démocratique. Le FFS était l'un des premiers partis à prôner la réconciliation. La donne a changé. Que proposez-vous pour aller vers une véritable réconciliation ? Le FFS a été le premier parti à avoir appelé à une réconciliation véritable. Réconciliation entre la société et l'Etat qui passe par la restitution aux citoyens de l'intégralité des droits de militer, de s'organiser, de s'exprimer et d'exercer librement le choix de leurs représentants. Cette restitution doit s'organiser dans le cadre d'un processus inclusif des forces politiques et sociales représentatives. Un processus qui passe par la levée des entraves à l'exercice de la politique, dont les contraintes policières et administratives. Une vraie réconciliation doit aboutir à un changement de régime et non à la consolidation d'un régime - responsable d'autant de malheurs et de dérives. La donne a changé dans les procédés de manipulation que le pouvoir ne cesse de perfectionner. La technique consiste à s'emparer des mots d'ordre de l'opposition pour mieux les détourner et les vider de leur sens (...) Le pouvoir continue la guerre contre la démocratie (...) Nous ne sommes pas seulement devant l'interdiction d'exercice politique aux dirigeants du FIS, le pouvoir encourage et confie l'activité politique aux dirigeants armés du FIS. Après l'assassinat de Abdelkader Hachani, le pouvoir a encouragé, dans la mouvance islamiste, l'émergence de personnes qui accepteraient de jouer sur le terrain, dont il fixe lui-même les règles du jeu. Le pouvoir admet tous les langages sauf celui qui lui échappe, le langage politique qui a ses règles, ses principes universels et ses acteurs crédibles. Le pouvoir ne cherche point à sauver la République (...) Aucune réconciliation ne peut être viable si les causes, les effets et les responsabilités dans la crise ne sont pas établis. La question des disparus pose ces trois dimensions de la crise. Aucune solution n'est possible sans la vérité et la justice. Nous sommes convaincus que les Algériens et surtout les victimes sont capables de faire le pardon et la réconciliation s'ils sont rassurés que leurs sacrifices ont servi à l'avènement de la démocratie, de la justice sociale et de la paix. Des observateurs s'accordent à dire que la campagne sur la charte est menée actuellement à sens unique. Qu'en pensez-vous ? Abdelaziz Bouteflika, dès l'annonce de sa démarche, a parlé de campagne d'explication et non de débat. Cela suffit pour comprendre les intentions des vrais décideurs qui voudraient se donner une immunité par la voie référendaire sans participation réelle de la population au débat. Un unilatéralisme qui dévoile l'incapacité politique et surtout le manque de confiance que le pouvoir ressent à l'égard de la population. L'interdiction de débat est la négation même de la réconciliation nationale. Vouloir imposer une démarche sans débat, c'est persister dans le contournement de la démocratie par le mensonge, l'insulte et la falsification (...) Le contrat national de 1995 a introduit dans les traditions politiques la notion de contrat qui suppose plusieurs partenaires et ne peut se traduire que dans le débat et l'échange. Il a défini le cadre pouvant permettre au pays de sortir de la crise dont sont énoncés les valeurs et les principes, les mesures devant précéder les négociations, le rétablissement de la paix, le retour à la légalité constitutionnelle, le retour à la souveraineté populaire et enfin les garanties. La campagne sur la charte est un carnaval avec lequel le pouvoir compte élargir sa base sociale par un phénomène de fédération de toutes ses clientèles (...). Que peuvent dire des personnalités politiques dans le cadre d'un non-débat ? Les décideurs éprouvent des difficultés à convaincre la population parce qu'ils ne trouvent pas matière à inventer « les ennemis de l'intérieur et les ennemis de l'extérieur ». Cela se traduit par une loquacité du chef de l'Etat qui tantôt fait porter la responsabilité de la tragédie à Dieu, tantôt au peuple qualifié d'« inculte ». Le FFS va probablement participer aux élections partielles en Kabylie. Pourtant, vous avez contesté la dissolution des APC élues. Quel est, selon vous, l'enjeu de ce scrutin ? Nous avons contesté la dissolution des APC et APW à Tizi Ouzou et Béjaïa. L'esprit raciste et régionaliste qui a caractérisé la démarche du pouvoir, l'illégalité et le caractère arbitraire de cette dissolution ont montré que les autorités persistent dans la gestion autoritariste des affaires du pays. Contrairement aux affirmations des relais locaux du pouvoir, qui se targuent d'avoir arraché cette dissolution, la réalité est que cette dernière était prévue dans l'agenda du pouvoir pour passer frauduleusement la charte dans une région aux traditions démocratiques ancrées et qui a su préserver son impénétrabilité par la police politique. L'unilatéralisme ne peut pas s'accommoder d'institutions locales dirigées par l'opposition. Notre position concernant les partielles est dictée par le devoir de préserver le contrat de confiance qui nous lie à la population. Depuis 2001, le pouvoir a tout mis en œuvre pour tenter de disloquer cette région, de la terrasser politiquement pour lui imposer une fausse représentation. Des commandos-clientèles sont lâchées dans cette région, soutenues par l'administration et financées par le pouvoir pour tenter de greffer le RND et ses dérivés dans un des bastions de la résistance pacifique et du combat démocratique. L'enjeu des partielles n'est pas de dimension locale, mais d'une signification politique importante. Il s'agira d'empêcher l'imposition d'une représentation politique factice.