Inadaptation Mohamed déteste le bruit de la ville, la poussière et la pollution. Il ne supporte plus cette atmosphère. Lui, enfant des montagnes rebelles. «Il y a trois ans, j?ai dû vendre mon cheptel et tous mes biens pour venir m?installer ici. Mes quatre enfants, qui ont plus de vingt ans, m?ont reproché d?être trop égoïste et de vouloir les laisser mourir dans un douar perdu !», raconte Mohamed, le beau-père et l?oncle de Yamina, accroupi par terre à la manière des gens de la campagne. Ses yeux verts brillent comme ceux d?un enfant. Son visage, quelque peu ridé, respire encore la jeunesse et la force. «J?aimais ma terre et mon troupeau. Je suis venu juste pour mes enfants. Que peut-on espérer de la capitale à 54 ans ? Ils veulent travailler pour se marier et se dessiner un avenir radieux. Au village, il n?y avait rien.» En effet, la famille était devenue pauvre. La sécheresse, qui a envahi le pays il y a quelques années, a tué le bétail et dévasté les récoltes. Les animaux mouraient de faim et la menace pesait même sur Mohamed et sa famille. «S?exiler» était impératif. Pour s?installer, Mohamed commence par vendre le cheptel. L?argent amassé lui permet d?acheter un terrain à Beni Messous, au quartier Sidi Youcef, pour y bâtir une villa. Même si la construction est toujours inachevée, la famille s?y est pourtant installée. Trois ans se sont écoulés et leur existence n?a pas vraiment changé. Il y a à peine 13 mois que Mohamed a déniché enfin un travail stable de gardien. Il perçoit un salaire de 12 000 DA, nettement insuffisant pour faire vivre une famille de 9 personnes et payer les charges (factures d?eau, d?électricité...) «Je n?ai pas droit à la retraite. C?est à 54 ans que je commence à travailler. Ce boulot me fait vivre.» Il se tait un moment puis enchaîne : «J?ai beaucoup de mal à vivre dans cette ville. Les mentalités et le mode de vie ne sont pas les mêmes. Les gens mentent comme ils respirent. J?ai failli perdre mon travail à plusieurs reprises à cause de ma sincérité. Ce n?est pas à cet âge que je vais commencer à délirer ! Nous avons grandi dans la nature chaste, entre les montages et les oueds. Nous avons été élevés dans la sincérité, la pureté et le silence. C?était la paix ! Ici, les gens vivent et naissent entre le béton et le vacarme.» Et ce n?est pas tout : «Chez nous, la femme ne sort pas. Cette image des femmes insouciantes que donne la ville est éc?urante. Ce n?est pas de nos habitudes. Changer d?environnement après 50 ans de vie est terrible !»