Elle vient de perdre son premier bébé, Ahmed, âgé d?à peine 15 mois. Pourtant, le visage ovale et ferme de Yamina ne porte aucune trace de larmes ou de douleur. Ses grands yeux noirs semblent juste épuisés par une longue nuit blanche. «Si mon enfant a été tué, c?est moi alors qui suis la meurtrière. Je suis restée avec lui toute la journée. C?était une journée comme les autres. Je me suis levée à 9h. J?ai préparé le biberon de mon enfant, ensuite je l?ai laissé jouer jusqu?à ce qu?il se rendorme vers 11h. Il était normal.» Ses mains et ses yeux bougeaient nerveusement. Une fois à l?hôpital, le rapport du médecin légiste mentionne que la mort de l?enfant est due à des «causes mystérieuses». Un autre médecin prend le dossier en charge et demande même l?ouverture d?une enquête. Les plaques noires qui couvraient son corps et ses parties génitales ont fait croire qu?il avait été violé. Alors commence le drame pour la famille. Le même jour, les parents sont convoqués par la police pour les besoins de l?enquête. Ils ne rentrent que vers minuit. Une terreur pour ces gens de la campagne qui n?ont jamais été habitués à de telles procédures. «C?était pénible. Nous avions même oublié que nous avions perdu un bébé. Nous n?avons même pas pu faire notre deuil. Au bled, nous l?aurions enterré sans aucune difficulté.» Les parents seront interpellés plusieurs fois dans la journée, durant deux jours. Le corps du bébé a été gardé à l?hôpital pour y être autopsié. «Nous avons été accusés de l?impensable. Mon enfant était malade. D?ailleurs, il ne pouvait ni marcher ni tenir sa tête. Je n?ai pu pleurer qu?une fois. Les procédures policières ont abattu mon c?ur», confie Yamina avant de lancer naïvement : «Pouvez-vous imaginer un seul instant qu?une mère puisse faire du mal à son enfant, à sa chair et à son sang ?» Ses grands yeux noirs exhalaient la tendresse des champs sauvages, la pureté des oueds et la générosité du ciel. Cette femme, qui n?est jamais allée à l?école et qui ne sort même pour faire le marché sans se faire accompagner d?un homme, semble ignorer tout de la ville, car ce qu?elle ne sait pas, c?est qu?actuellement, les cités sont secouées par l?affolante criminalité. Tout le monde tue, même les enfants et souvent sans aucun motif ou pour une banalité. Ses mots, ses interrogations puériles semblent venir d?une autre époque.