Le commissaire Dupont n'est pas un homme expansif. Dans son petit commissariat du XIIe arrondissement de Paris, il a ses habitudes. Il est précis, méthodique, ponctuel. Avec lui, on a la sensation de ce qu'on oublie parfois : les policiers sont des fonctionnaires. Pourtant, ses collègues, avec qui il parle peu et plaisante moins encore, lui reconnaissent beaucoup de qualités professionnelles. Outre sa méthode et sa méticulosité, il a une intuition extraordinaire : il sait mettre à nu la psychologie des gens. En ce moment, ce 10 juillet 1946, le commissaire Dupont enregistre une déclaration de disparition. «Procédons par ordre, voulez-vous. Vos nom, prénom, âge et qualité. ? Berger Marcel, trente-six ans, transporteur routier. ? Bien, monsieur Berger, racontez-moi dans quelles conditions votre femme a disparu. ? C'était hier. Raymonde est partie vers neuf heures du matin, elle m'a dit qu'elle aillait chez sa couturière. Je dois vous dire qu'on s'était disputé la veille ! Oh ! pas grand-chose, des bêtises, mais depuis quelque temps, cela n'allait pas bien entre nous... Alors, je pense qu'elle a pu s'enfuir quelque part. Je ne sais pas moi, à la campagne.» Pendant que son interlocuteur lui parle, le commissaire Dupont l'observe attentivement, avec cette fameuse expérience psychologique qui fait l'admiration de ses collègues. L'homme a le front bas, les sourcils épais, le nez proéminent, la mâchoire carrée, l'?il fixe. Tout en lui indique quelque chose de primaire et même d'un peu animal. Dès cet instant, le commissaire Dupont a deux certitudes : premièrement, cet homme a tué sa femme ; deuxièmement, le cas est banal et le personnage sans grande complication. Le commissaire Dupont, avec son esprit méthodique de fonctionnaire, se trace pour lui-même le programme de son enquête, une enquête qui sera sans problème et sans surprise, une de celles qu'au fond il préfère. Mais cette fois, le commissaire Dupont se trompe du tout au tout. Le transporteur routier aux allures primaires qui est en face de lui, est le personnage le plus inattendu qu'il ait été amené à rencontrer et l'enquête qui va suivre sera la plus difficile de sa carrière... Il se met sans attendre au travail. La première chose est d'aller dans l'immeuble de Marcel Berger pour d'éventuels témoignages. Il en recueille trois, qui sont parfaitement concordants. D'abord la concierge : «J'ai vu monsieur et madame Berger partir le 9 juillet vers vingt heures trente dans leur camion. M. Berger est rentré vers vingt-trois heures, mais tout seul.» Une habitante de l'immeuble a vu également partir le couple vers vingt heures trente, de même qu'une servante du bar-tabac en face de la rue, qui précise : «La dame portait une veste rouge.» Le commissaire Dupont est ravi : c'est encore plus simple qu'il ne l'imaginait. Maintenant, il peut passer à la seconde partie de l'enquête : la vie privée du couple. Là, pas de problème : il va découvrir soit que le mari trompait sa femme, soit que la femme trompait son mari. Et encore une fois, tout s'enchaîne parfaitement. La s?ur de Raymonde Berger demande à le voir. Elle arrive dans son bureau, émue, inquiète... La quarantaine, un peu boulotte, habillée simplement, elle tortille nerveusement son mouchoir. «Monsieur le commissaire, il est arrivé quelque chose à Raymonde. C'est lui, je suis sûre que c'est lui ! ? Vous soupçonnez monsieur Berger ? ? Je ne le soupçonne pas, j'ai des preuves. J'ai les lettres de sa maîtresse, Raymonde les avait découvertes et elle me les avait données. Tout cela, c'est la faute de cette étrangère, de cette comtesse.» (à suivre...)