«Digne d?être porté seulement par une princesse !, continua El-Sètre. ? Mais comment faire ?, demanda le gargotier déjà appâté par le gain. ? Demain, tu te rendras au souk. Tu donneras la gandoura au courtier du sultan. Il sait y faire et saura la proposer à de riches dignitaires. Tu en profiteras ausi pour m?acheter du fil de soie car, vois-tu, l?oisiveté me fait dépérir. Je te broderai alors une djellaba qui fera la joie d?un roi ! ? Ma foi ! Puisque tu veux travailler?» répondit le gargotier avant de se précipiter au marché. Il remit au courtier du sultan le vêtement et alla faire provision de tissus de toutes sortes ainsi que des fils de soie et d?argent. ? «Tiens ! dit-il à El-Sètre en jetant dans le cachot les achats, tu as de quoi t?occuper ! Pour ma part, j?ai remis l?habit au courtier : il était subjugué par la finesse et par la qualité de l?ouvrage. Il m?a donc promis pour demain des centaines de dinars !» jubilait le gargotier. Le courtier se rendit aussitôt au palais et dit au roi : «Sire, connaissant la passion du prince pour la passementerie et la broderie au fil d?or, je suis venu vous montrer une pure merveille !». Le sultan, fort inquiet par la soudaine disparition de son fils, ne prêta pas oreille au bavardage de son courtier, mais quand celui-ci déplia devant lui le vêtement, le roi comprit, tout de suite que cette riche broderie était l??uvre de son fils chéri. Discrètement, il fit appeler sa belle-fille en lui demandant d?apporter un ouvrage de la main du jeune prince. Bahia apporta le carré de soie sur lequel El-Sètre lui avait brodé sa demande en mariage. Dès qu?elle aperçut la gandoura, elle comprit que c?était là l??uvre de son mari : elle la compara avec son carré de soie qu?elle tendit bientôt au roi en disant : «Regardez, Sire ! ce sont les mêmes fioritures, les mêmes fleurs et les mêmes arabesques !». Le sultan ne put qu?en convenir et soudain il vit Bahia blêmir. Anxieux, il lui en demanda la raison. Sans un mot, elle lui fit lire ce qui était finement écrit, bien dissimulé, au bas du vêtement : «Si tu es passementier averti, prends soin de suivre les points de broderie !» Et, à la fin de la phrase, était brodée une cage où était enfermé un oiseau dont les plumes étaient disposées de telle sorte qu?on pouvait lire aisément «El-Sètre». Plus aucun doute ne persistait ! C?était bien un appel au secours du prince. Le sultan demanda au courtier : «Qui t?a donné cette gandoura ?». Le démarcheur répondit : «Un homme que je ne connais pas, mais qui doit demain venir chez moi récupérer l?argent que je lui dois». «Il y trouvera nos agents !», répliqua le roi Cette nuit-là, le prince la passa à prier. Au petit matin, le gargotier se rendit chez le courtier comme prévu. Les gardes du roi l?arrêtèrent sur-le-champ et ne tardèrent guère à lui faire avouer qu?il retenait prisonnier chez lui le passementier. Aussitôt, on se rendit dans la taverne où l?on découvrit le prince que l?on remonta de son cachot. Le roi, au comble de la joie, retrouva un instant plus tard son fils à qui il fit remarquer judicieusement : «Remercie ta femme de t?avoir encouragé à apprendre un métier et rends grâce à ton grand-père qui m?avait appris : «Que tout savoir-faire, s?il n?enrichit, Chasse la misère !» Le prince en riant ajouta : «Mais depuis ma mésaventure, il faudra que l?on complète l?adage en disant dorénavant du travail manuel : «Que tout savoir-faire, S?il n?enrichit, Chasse la misère ! Et qu?un métier appris, Parfois, prolonge la vie !».