Il était une fois un roi, il n? y a de roi que Dieu, qui avait un fils unique, El Sètre, choyé et gâté comme il n?était pas permis de l?être. Un jour, le souverain décida de donner femme au prince : «Demain, décréta le souverain, il faudra que toutes les jeunes filles de plus de quinze ans et de moins de vingt ans viennent au palais accompagnées de leurs parents !». Le lendemain, dès la première heure du jour, de toute la ville et de ses environs, malgré une chaleur étouffante, un essaim de jeunes filles à marier, portant le costume traditionnel de velours brodé de fil d?or, se promenaient dans l?immense cour du château ; nourrissant les plus folles espérances et les plus grandes ambitions, elles étaient venues se faire admirer par le prince héritier, le cliquetis de leurs bijoux, mêlé au parfum mystérieux de l?ambre, du henné, du musc et du jasmin, avait déjà envahi tout le palais et même les jardins. Derrière la jalousie de sa fenêtre, le dauphin se tenait depuis ce matin, une pomme à la main, guettant en vain et espérant surtout celle qui allait enfin faire battre son c?ur et changer son destin. Apercevant le vizir, le roi s?exclama : «Quel admirable parterre de jolies demoiselles ! Je comprends que mon fils ait l?embarras du choix : elles sont toutes si belles !». «Majesté, que la paix soit sur vous, répondit le vizir, veuillez excuser mon retard. Il faillait arracher ma fille Bahia à ses livres pour la faire venir avec moi. N?est-elle pas, elle aussi, en âge de prendre mari ?». Bahia était habillée d?une simple robe de soie, malgré l?immense fortune de son père, elle ne portait comme bijou qu?une fine chaîne au cou. Le sultan ne répondit pas tant il était subjugué par l?éclat et le charme de la jeune fille. Après avoir remercié Dieu, qui se plaisait parfois à parer l?humain de tant de grâce et de beauté, le souverain interpella El-Sètre qui se retourna et aperçut alors la fille du vizir. Le visage du prince s?empourpra, son c?ur s?emballa et, maladroitement, il lança la pomme qu?il tenait dans ses mains moites à la jeune fille. Bahia n?attrapa pas le fruit qui tomba à ses pieds, signifiant ainsi qu?elle ne voulait pas de cette union. Le vizir blêmit de peur et le roi de colère. ?«Ta fille ose refuser la demande en mariage de mon fils !», s?emporta le roi. ? «Sire, je n?aurais pas cette insolence, répondit la jeune fille en rougissant, toutefois je n?accepterai d?épouser le prince que s?il consentait d?abord à apprendre un métier !». ? «Quoi ! s?écria le roi, mon fils n?a pas besoin de travailler pour vivre : la fortune dont il héritera comblera les besoins des arrière, arrière-petits-enfants de ses lointains descendants». ? «Sire, reprit la jeune fille, je ne mets pas en doute votre immense fortune, ni votre grand pouvoir, mais je voudrais simplement que par un savoir, un apprentissage notre prince s?enrichisse personnellement». Le roi, très sage, se rappelant combien El Sètre enfant était réfractaire à tout enseignement, fut séduit par l?idée de Bahia. ? «Je connais bien mon fils, il ne voudra certainement jamais faire l?effort d?apprendre quoi que ce soit?», soupira le roi. Mais à son grand étonnement, il entendit El-Sètre répliquer. ? «J?ai toujours voulu apprendre le métier de haradje !» (brodeur sur velours ou sur soie). Dès le lendemain, le roi convoqua les plus grands haradjines (pluriel de brodeur) et le prince, avec passion, commença sa formation. Il est vrai que jadis, la passementaire, le tissage, la couture et même la broderie n?étaient réservés qu?aux hommes. Les baudriers, les babouches, les selles en cuir brodés de fils d?or ou d?argent étaient très prisés par les anciens. Les gandouras, les caracos, les caftans de velours ou de soie fine toujours brodés de fils d?or étaient les tenues d?apparaît de toutes les citadines. En moins d?une année, le prince devint le plus habile, le plus chevronné des haradjine alors sur un carré de soie, il broda en lettres de feu, sa demande en mariage. L?ouvrage était une merveille, un véritable chef-d??uvre que la fiancée garda précieusement. (à suivre...)