Jamais, de mémoire d?homme, on ne vit plus belle mariée. Le roi, au comble de la félicité, fit célébrer les noces pendant sept jours et sept nuits. A cette occasion, pour déjouer le mauvais ?il, le prince, en personne, offrit des cadeaux à tous ses sujets et décida de nourrir mille pauvres et démunis. Il fit l?aumône aux neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mendiants qui se présentèrent ce jour-là au palais. Il en manquait donc encore un ! et comme le millième tardait à se présenter, le prince, impatient, décida d?aller le chercher dans la vieille ville. Pour cela, il jeta sur ses épaules le burnous d?un serviteur, se ceignit la tête d?un vieux turban, se salit le visage et les mains puis, ainsi déguisé, El-Sètre sortit par une petite porte dérobée. Ses pas le conduisirent près d?une taverne plutôt malfamée. Le prince, fin gourmet, fut intrigué par le fumet qui s?échappait de cette drôle de gargote. ? «Que la paix soit sur vous !» dit le prrince en hésitant à pénétrer dans une salle si déserte et si mal éclairée. Un homme, surgit on ne sait d?où, s?approcha de lui et tout en le dévisageant bizarrement lui répondit : «Sois le bienvenu, dans l?une des plus vieilles auberges du pays !». Le prince demanda : «Les odeurs de votre cuisine me sont inconnues ! Quelle viande avez-vous donc au menu ?» ? «L?agneau ! Mon bon monsieur. L?agneau, que mon cuisinier prépare, vient des hauteurs de Tébessa. Les monts de cette ville sont couverts d?ambroisie, de thym et de menthe sauvage de sorte que la chair des moutons, qui en ont brouté pendant leur courte vie, en a le goût et le bouquet. C?est pourquoi les méchouis que je sers sont à nul autre pareil !», susurra le gargotier qui, en parlant, palpait El-Sètre tout en l?invitant du geste à se diriger vers le côté le plus obsccur de la salle : «Asseyez-vous sur ce tapis ! reprit-il, vous allez faire fête à mon rôti?» El-Sètre n?attendit pas davantage : la carpette sur laquelle il s?était assis masquait, en fait, une trappe qui céda sous son poids, le précipitant ainsi dans une oubliette. Après s?être révéillé de son évanouissement, le prince inspecta le cachot dans lequel il se trouvait : c?était une cave mal éclairée, sans aucune issue : dans un coin, il aperçut une grande quantité de nourriture. Soudain la lumière se fit et il vit, dans le cadran de la trappe, le visage du gagotier : «Tu es venu ici pour manger, alors mange ! D?ailleurs sache que je ne te libérerai que lorsque tu seras assez replet !», ricana l?homme en faisant le geste de s?égorger. Le prince ne put répondre car son geôlier avait déjà refermé le battant mais pendant ce laps de temps, El-Sètre put lire sur le mur d?en face : «Mange et quand tu seras assez gras, on te mangera.» Le prince comprit dans quel guêpier il était malencontreusement tombé. Il s?effondra et resta le longues heures médusé. Il était encore plongé dans ses tristes pensées, quand son cachot s?éclaira encore une fois et il entendit le tavernier lui crier : «Qu?attends-tu pour manger ?» ? «Il me faut d?abord m?activer pour avoir de l?appétit !» répondit tristement El-Sètre. Puis il continua : «Je suis haradje ! (brodeur) Si seulement tu m?apportais du fil et du velours je broderais une gandoura que tu pourrais vendre très cher !». Dès que le gargotier lui rapporta les tissus et le fil, le prince se mit au travail et n?eut de cesse que lorsqu?il acheva la robe d?apparat. Jamais, au grand jamais, cet homme n?avait vu un aussi bel ouvrage ! Et après l?avoir soigneusement examiné il finit par conclure : «Tu es véritablement un artiste ! C?est un bien bel habit?» (à suivre...)