Harcèlement «Ayez pitié ! aidez-moi à nourrir trois orphelins. Dieu vous le rendra, ô chers frères ! donnez-moi de quoi?» Cette supplication, insistante jusqu?à l?exaspération, le nouvel arrivant à Annaba l?entendra dix fois, cent fois sur le chemin qui le mène de la station centrale de taxis de Sidi-Brahim jusqu?au marché d?El-Hattab. Le boulevard Bouali-Saïd qui s?allonge sur plus d?un kilomètre est, avec le boulevard d?Afrique, la seule voie qui débouche directement sur le centre-ville. Cet axe est devenu, au fil du temps, un parcours du combattant pour celui qui le traverse à pied, tant il est soumis au harcèlement incessant des mendiants qui le peuplent de part et d?autre. L?âme charitable aura beau donner la pièce à ce vieillard tout déguenillé, à cette autre femme voilée qui tient un bébé dans ses bras ou à cet invalide aux yeux si tristes, il devra, s?il en a les moyens, refaire ce geste quelques mètres plus loin et encore et encore? La gare routière toute proche pullule également de mendiants dont on dit que la plupart viennent d?en face, c?est-à-dire des quartiers de «Lassiti» (La cité Auzas) et de Djebanet Lihoud. Ces miséreux se mêlent à la foule et montent souvent dans les bus pour demander une petite obole. Certains se transforment en pickpockets à l?occasion et alors gare aux sacs à main et aux poches de vestes mal boutonnées ! Beaucoup de personnes trop préoccupées par l?idée de se trouver une place dans les cars se sont vu soulager de leur argent ou d?un objet en or à la portée de ces mains fureteuses. Mendiants et voleurs ont fait de cet endroit, fort bien agencé au demeurant, une annexe de cour des miracles. Un lieu qui constitue une espèce de frontière invisible qui divise la ville en deux parties bien distinctes, avec les grands ensembles d?un côté et le vieux quartier indigène de l?autre. Cette partie se distingue par l?architecture particulièrement dépouillée des habitations construites à l?intention des «Arabes» par l?administration coloniale. Des logements individuels au rez-de-chaussée côtoient des haouch, ces immenses maisons de plusieurs pièces, donnant sur une cour commune et des dépendances, où des dizaines de familles se serraient et se serrent encore aujourd?hui. Certaines ont été vendues et rasées par leurs nouveaux propriétaires pour être construites dans un style différent. Il est très facile de localiser ces habitations toutes neuves qui comprennent un ou deux étages avec, bien entendu, des locaux à usage commercial au rez-de-chaussée. Ces édifices clairsemés sur le site détonnent avec le reste des logements, autant que les bâtiments à sept niveaux et plus que l?Aadl a récemment construits en bordure de «Lassiti». Cette initiative que l?APC de Annaba a prise dans la précipitation à cause de l?urgence du programme de location-vente lancé par les pouvoirs publics en 2001, est perçue ici comme une incongruité, une insulte presque aux yeux des jeunes, surtout qui ne demandent qu?à franchir le boulevard Saïd-Bouali pour s?installer parmi la population de la ville. Ceux qui ont pu partir l?ont fait, laissant derrière eux des parents, des amis condamnés à y vivre sans l?espoir d?une quelconque amélioration.