Conférence n Pour tous les lecteurs avertis de l'œuvre de Mouloud Feraoun, ils se seront rendus compte que dans tous les romans de l'écrivain, la place de la femme s'enracine de facto dans la trame des récits. C'est en ce sens que Fazia Feraoun, professeur de sociologie et fille de l'auteur du « Le fils du pauvre » a hier parlé, lors d'une conférence à la bibliothèque multimédia-jeunesse (Didouche Mourad), et ce, à l'initiative de l'établissement Arts et Culture, de l'influence des femmes dans la vie réelle et littéraire du romancier. Dans un premier temps, Fazia Feraoun s'est référé à une étude réalisée par deux universitaires français, Robert Elbaz et Martine Mathieu, sur la totalité des livres de Feraoun. Des données qui remettent en cause les « lectures réductrices » et l'image simpliste répandues par les éditions Le seuil sur la teneur et la profondeur littéraire de l'œuvre féraounienne comparativement à certains auteurs marocains de l'époque. La conférencière, en ayant toujours recours à la publication d'Elbaz et Mathieu, signale que Feraoun « a donné la parole à la population algérienne se démarquant des écritures exotiques et coloniales. Il a répondu à une véritable stratégie de réflexion programmatique. » Abordant l'espace féminin dans l'œuvre de Feraoun, elle a mis en exergue, tout au long de son intervention, la position importante qu'accordait l'écrivain à la femme. C'est parce qu'il était père de quatre filles que l'homme de lettres à privilégié et s'est engagé à faciliter la scolarisation des filles, faisant face aux nombreux interdits d'une société patriarcale et traditionnelle. A Larbaa Nath Iraten, alors Fort national, en 1952, il a créé une section filles dans son école de garçons et a inscrit l'ainée de ses enfants, sa préférée, dans son établissement afin de mettre en confiance les habitants de cette région de Kabylie pour qu'ils viennent à faciliter la scolarisation des filles. Un autre exemple non moins significatif, Mouloud Feraoun a initié son épouse à la lecture et l'écriture, jusqu'à en faire sa collaboratrice en toute chose de leur vie commune. Jusqu'à lui faire partager les auteurs classiques, ses manuscrits. « Il avait une vision moderne de la situation de la femme. C'est en cela que dans tous les romans il leur rend leur juste place en s'impliquant dans la description intérieure de leur travail », a-t-elle souligné, et de renchérir : « Il ne les décrit pas de façon subjective mais entre dans leur société. » Feraoun, dira sa fille, a en quelque sorte ébranlé les fondements de cette société patriarcale kabyle, ce qui a causé une rupture « d'avec son père ». S'exprimant sur l'engagement militant durant la guerre de libération de Feraoun, l'oratrice a insisté sur le fait que pour l'auteur « le débat sur l'éveil de la conscience nationale n'a pas lieu d'être ». Et pour que beaucoup ne s'y méprennent pas, elle citera ce fait lors du décès du père de Feraoun le premier novembre 1958 « quand l'armée lui a proposé de l'escorter jusqu'au village, Feraoun a refusé, préférant l'escorte des femmes moussabelates du village. » Ces militantes de l'ombre ont tour à tour selon la distance, protégé et accompagné jusqu'au domicile paternel. Le courrier adressé à Guy Mollet, le viol des algériennes, la dénonciation sur l'assassinat des filles du pays par ceux qu'il appelle « terroristes », considérées comme femmes de légères mœurs, la plume de Mouloud Feraoun a recours à la voix du cœur et à l'objectivité de son rôle avec sa dimension militante et socioculturelle. De son coté, Ali Feraoun, le fils du chahid a brièvement évoqué le 15 mars 1962, la journée fatidique qui a couté la vie à sept intellectuels, tombés sous les « 110 balles » d'un fusil mitrailleur. Assassinat collectif qui n'a pas épargné aucun des inspecteurs d'académie présents « Le chef du peloton, un légionnaire, vient d'être réhabilité en France cette année », a-t-il relevé en cet anniversaire de la mort de Feraoun et de ses compagnons. Une commémoration qui aura lieu aujourd'hui mardi à Tizi Hibel sous la houlette de la Fondation Mouloud Feraoun.