Résumé de la 1re partie n Il était absolument interdit aux employés de la ferme de pénétrer dans les bois. Pendant la nuit, elle avait pensé aller trouver le shérif Gunderson. Mais il refuserait sûrement de l'aider et se contenterait de la toiser avec son regard de mépris interrogateur. Elle emporterait un thermos de café. Elle n'avait pas la clef du chalet, mais elle pourrait briser une vitre à l'aide du marteau. Bien qu'Elsa ne vînt plus depuis deux semaines, toute la grande maison ancienne rutilait de haut en bas, preuve éclatante des principes rigoureux de la femme de ménage en matière de propreté. En s'en allant, elle n'omettait jamais d'arracher la page du jour sur le calendrier au-dessus du téléphone mural. Jenny l'avait fait remarquer à Erich en riant. «Elle ne se contente pas de nettoyer ce qui n'a jamais été sale, elle fait aussi disparaître chaque soir de la semaine.» A son tour, Jenny détacha le vendredi 14 février, froissa la page et regarda fixement la feuille vierge sur laquelles'inscrivait en caractères gras : samedi 15 février. Elle frissonna. Près de quatorze mois s'étaient écoulés depuis le jour de sa rencontre avec Erich à la galerie. Non, c'était impossible ! C'était il y a un siècle. Elle se frotta le front. Ses cheveux châtains avaient foncé pendant sa grossesse jusqu'à devenir presque noirs. Ils lui parurent tristes et sans vie quand elle les serra sous son bonnet de laine. Le miroir encadré de coquillages à gauche de la porte jetait une note incongrue dans l'imposante cuisine au plafond orné de poutres en chêne apparentes. Elle s'y regarda. Elle avait de larges cernes sous les yeux. Normalement d'un bleu tirant sur l'aigue-marine, ils lui renvoyaient ce matin un regard fixe et sans expression. Ses joues étaient creuses. Elle n'avait pas retrouvé son poids depuis l'accouchement. Une veine battit à son cou quand elle ferma sa combinaison. Vingt-sept ans. Elle avait l'impression d'en paraître dix de plus, et se sentait aussi vieille qu'une centenaire. Si seulement cette torpeur pouvait disparaître. Si seulement la maison n'était pas aussi silencieuse, aussi terriblement silencieuse. Elle regarda le poêle en fonte près du mur orienté à l'est de la cuisine. Le berceau plein de bois avait retrouvé sa place et son utilité à côté de lui. Elle se força à examiner le, berceau, assimilant lentement le choc permanent de sa présence dans la cuisine, puis elle se détourna, prit la bouteille thermos, y versa le café, rassembla la boussole, le marteau, les clous et les bouts de chiffon. Elle fourra le tout dans un sac à dos en toile, se protégea la figure d'une écharpe, mit ses chaussures de ski de fond, enfila d'un coup sec de grosses moufles fourrées et ouvrit la porte. Le vent vif et cinglant rendit son écharpe dérisoire. Le meuglement sourd des vaches dans l'étable lui fit penser aux sanglots épuisés d'un profond désespoir. A suivre