Reportage n Au lendemain d'une nuit d'émeutes à Caracas qui a fait 12 morts, un homme fouille les restes des pillages, trouve de la nourriture et l'avale... Autour de lui, des décombres, des impacts de balles et une flaque de sang. «On aurait dit la guerre des étoiles», résume Sonia Rodriguez, 50 ans, qui tient une boucherie dans le quartier populaire d'El Valle, dans le sud-ouest de la capitale. On dénombre des dizaines de magasins saccagés. Une bande jaune et noire de la brigade criminelle tient à distance les curieux devant une boulangerie transformée en scène de crime : huit personnes y ont péri la veille, selon un policier sur place. Si les circonstances restent confuses, le parquet parle d'une électrocution. Sur les douze morts de la nuit de jeudi à vendredi, 11 ont perdu la vie à El Valle et un douzième homme a été tué par balle à Pétaré, ancien bastion chaviste de l'est de Caracas. Liria Henriquez, 42 ans, a tout vu «au premier rang» depuis le balcon de son appartement qui donne sur cette rue d'El Valle transformée en champ de bataille. Plongé dans une crise politique et économique depuis début 2016, le Venezuela connaît un regain de tension et des violences qui ont fait 20 morts depuis début avril lors de manifestations de l'opposition. Jeudi soir, tout a commencé par un concert de casseroles, qui a dégénéré en blocage de rues et en face-à-face avec les autorités. Les forces de l'ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants qui ont répondu avec des jets de pierres et de bouteilles. Sur les réseaux sociaux, des vidéos montrent un véhicule anti-émeute, qui lançait des jets d'eau, touché par plusieurs cocktails Molotov. C'est à partir de minuit, avec l'arrivée des habitants d'une zone très pauvre située tout près, que les pillages ont débuté, poursuit Liria Henriquez, qui vit là depuis 20 ans. «Soudain, tous les policiers avaient disparu. Les gens ont cassé (l'accès à un commerce) durant deux heures et après, pendant quatre heures, ils ont tout sorti, et il n'y avait pas un policier», raconte cette femme à propos d'un supermarché dévasté. Etagères renversées, frigos détruits et privés de leur moteur, et quelques restes d'aliments sont encore visibles sur le sol. Dans la rue Cajigal, des hommes et des enfants fouillent les détritus alimentaires pour voir ce qu'il peuvent encore sauver. Isabel Mendoza, 54 ans, une commerçante, en est convaincue : «Ce n'est ni l'opposition, ni le chavisme, tout le monde était là.» «Ici sont descendus ceux qui cherchaient de la nourriture, on suppose qu'ils avaient faim», ajoute-t-elle. «Ça, ce n'est pas avoir faim, c'est de la délinquance. C'est profiter de la situation du pays pour faire le mal», rétorque Mme Rodriguez, qui regarde ce qui reste de sa boucherie : «Des os et du verre cassé.» «Un nouvel épisode de haine et d'intolérance a rempli de douleur les rues du Venezuela», a déclaré le vice-président Tareck El Aïssami à propos de cette deuxième nuit consécutive de pillages, accusant l'opposition de «comploter en vue d'actions criminelles au côté de bandes armées qui attaquent le peuple». R. I. / Agences L'opposition poursuit ses manifestations l Le Venezuela s'apprête ce samedi à vivre une nouvelle journée de manifestations anti-Maduro. Déterminée à poursuivre la mobilisation jusqu'à la tenue d'élections anticipées, l'opposition a convoqué à la mi-journée une «marche du silence» vers les sièges de l'épiscopat vénézuélien dans tout le pays. Il s'agira d'un test pour les autorités, après des jours d'affrontements entre policiers et militaires, déployés en nombre, qui ont repoussé avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc les manifestants, lesquels ont répliqué avec des pierres et des cocktails Molotov. Après les défilés de samedi, un «blocage national» des routes est prévu lundi. Les antichavistes (du nom du défunt président Hugo Chavez, 1999-2013) sont engagés dans un bras de fer avec le gouvernement et multiplient les mobilisations en misant sur l'épuisement du camp adverse. Objectif de cette «course de fond» : l'élection présidentielle de décembre 2018, selon le politologue Luis Salamanca.