Résumé de la 6e partie - Comment donc pouvais-je choisir, si je ne savais pas comment j'étais morte ? La légende indiquait : «Déjà une demi-heure de retard. Elle ne sera jamais de retour en ville à l'heure.» J'ai contemplé la photo de cette route de campagne. Il n'y avait plus maintenant que trois personnes devant moi. Dans la vie réelle, elles auraient eu au moins vingt-sept articles chacune et auraient voulu payer avec la carte de crédit périmée d'un tiers. Elles se seraient gratté la tête et tapoté le menton avant de répondre à la question brûlante : sac en papier ou sac en plastique ? L'homme en costume trois pièces aurait étudié ses liasses de billets avant de se décider pour une coupure de cent dollars qui aurait forcé notre caissière à demander de la monnaie à sa collègue d'à côté. La femme au sac gros comme une pastèque en aurait sorti des piécettes à pleines poignées, en aurait extrait les pièces de dix cents qu'elle aurait comptées pour voir de combien elle pourrait se débarrasser, sans pour autant cesser d'expliquer à la caissière quel ennui c'était que de transporter sur soi autant de monnaie. Pour une fois où je me serais félicitée de tous ces retards, l'homme en costume trois pièces s'est contenté de glisser sa carte de crédit dans la fente, il a saisi son sac provisions et s'est dirigé vers le parking. Il ne restait plus que deux personnes devant moi. Dans ma tête tournait la photo de la route à deux voies. La route à deux voies et le carrefour. Le dernier carrefour muni d'un stop avant la ville. Tout à coup, j'ai revu clairement la seconde de ma mort. Au carrefour, ma route croisait une autre route à deux voies. Au fur et à mesure que je m'en rapprochais, je voyais un cortège qui s'avançait ; J'en voyais le début, mais non la fin. Cette maudite procession funéraire s'étendait jusqu'à l'éternité. Ces cortèges-la ne laissent traverser personne, comme si une arrivée tardive au cimetière retardait le cadavre. Si je m'arrêtais, j'étais bloquée là pour toujours. Le signal stop était impératif. J'ai appuyé sur le champignon. A un carrefour, un stop n'est destiné qu'aux idiots. Aux quatre automobilistes qui s'arrêtent en même temps et qui attendent. Ça n'a pas de sens, surtout lorsqu'on est pressé. Mais pour des chauffeurs pro-fessionnels, comme le conducteur du corbillard, on risque le chômage quand on se voit infliger trop de contraventions et ils respectent les panneaux. Certains auraient estimé que je passerais de justesse (certains de mes anciens passagers), mais je savais que j'avais largement le temps. La femme au sac à main gros comme une pastèque a souri à l'employée en lui versant la somme exacte. Il n'y avait plus qu'une seule personne entre la caisse et moi. Je n'avais plus une minute pour me souvenir de mon décès. Il me fallait choisir mon symbole. J'avais besoin d'y réfléchir, mais il n'en était plus temps. Jetant le magazine parterre, je suis sortie de la queue en courant — je pourrais toujours m'y réintroduire. A suivre