Les yeux cernés, le visage assombri et le regard mélancolique depuis que son fils a fugué, il y a vingt jours, Ahmed, un père de famille, traîne comme un fou dans les rues et ruelles d?Alger à la recherche de son fils, le petit Nacer qui n?a que 14 ans. «Je l?ai surpris en train de fumer, je l?ai grondé en le menaçant qu?il allait le payer cher une fois à la maison. Comme je suis un ancien boxeur, mon fils a eu peur, il croyait que j?allais le battre et depuis, il n?est plus revenu à la maison», gémit-il presque. «J?ai perdu la raison ! J?ai six autres enfants et je ne rentre plus chez moi, je ne vais plus au travail. Rien ne m?intéresse, je veux retrouver mon gosse», crie-t-il encore. Ahmed, accompagné de son grand frère, a distribué de grandes photos de son fils aux passants et tout particulièrement, aux enfants de la rue, afin qu?ils l?aident à retrouver son «bébé». Certains se sont lancés sérieusement à la recherche de Nacer. Saïd, dont le corps chancelait d?ivresse, tente de rassurer le papa égaré en lui affirmant qu?il a vu le même jour son fils errer à la Grande-Poste. «Il est là, ne t?inquiète pas !» Nacer est un bon élève, il a eu d?excellents résultats scolaires, c?est aussi un sportif pratiquant du foot au sein d?un club à Kouba. «Je ne m?attendais pas à ce qu?il parte sans avertir, il est calme et gentil. Je suis encore sous le choc !» Le «Cheikh» regarde le père désespéré et rétorque : «C?est votre faute vous les parents. Il fallait lui faire comprendre les choses gentiment. Nous sommes tous passés par là, peut-être vous aussi!? La loi de la rue est cruelle, vous pouvez perdre votre fils pour la vie, si vous ne savez pas vous y prendre.» Une vérité accablante que le «Cheikh» révèle et qui fait tressaillir son interlocuteur. Il sait ce qu?il dit, car c?est le «papa» de tous ces orphelins jetés dans la rue sans aucune protection, ni aucune tendresse. Il suffit de quitter la maison un soir pour découvrir ce «libertinage juvénile» qui entraîne la majorité de ces innocents dans les sinistres dédales de la délinquance et de la débauche. Ahmed, conforté par notre présence nous suit durant notre promenade nocturne. Ses petits yeux brillent dès que quelqu?un lui confie qu?il a rencontré son fils. «Regardez celui-là, il a vu mon enfant.» Sa voix s?attendrit soudainement et explose comme un cri puéril, les sanglots l?étranglent. On quitte la gare vers la caverne de Mohamed, El-Béjaoui et Sid-Ali et d?autres gosses nous tiennent compagnie dans cette incommensurable errance. Quelques pas, des confessions furtives, des aveux murmurés, puis des au-revoir. L?aventure tire à sa fin, c?est le moment de partir. Ils nous guident, enchantés, à notre point de départ, puis repartent avec le «Cheikh» qui va leur apporter à manger. La ville ensommeillée et taciturne les engloutit. Il est 1h 30.