InfoSoir : Qu?entend-on par danse contemporaine ? Robert Syfreid : La danse contemporaine est une évolution de la danse moderne. Elle est apparue dans la société moderne (fin XIXe et début XXe) et elle s?inscrit déjà dans une histoire ; elle s?inscrit aussi et surtout dans une liberté de création et s?il y a un terme qui convient à la danse contemporaine, c?est cette liberté qui lui est absolument nécessaire aujourd?hui dans sa contemporanéité. Que signifie-t-elle ? Tout ce qu?un auteur peut mettre dans une écriture. C?est dire qu?après toute forme d?écriture, d?art, d?expression artistique, elle est là pour nous dire, interroger la vie au niveau émotionnel et à bien d?autres niveaux. Ce qui est intéressant, c?est qu?elle est déjà chargée de toutes les histoires et de toute une culture et en même temps dans une donnée d?immédiateté. Après, elle s?inscrit aussi dans des écritures qui correspondent à des auteurs qui sont les chorégraphes. Peut-on dire que le théâtre a contribué à la naissance, voire à l?émergence et au développement de la danse ? Non. Je ne vois pas à quel endroit le théâtre aurait aidé à l?émergence de la danse. Le théâtre s?est construit avec sa propre histoire. Le théâtre est lié au texte; le texte a été dominant par rapport au reste de l?expression et même si on considère que le théâtre est à la fois paroles, corps et gestes, il n?en demeure pas moins que le texte est prédominant. Donc, c?est à partir d?un texte qu?on a mis en scène une situation. Alors qu?au niveau de la danse, on parle du corps directement. La danse est composée à la fois de toute une gestuelle et de toute une mise en scène de cette gestuelle. C?est-à-dire? Déjà le corps est quelque chose qui nous échappe beaucoup ; lorsque l?on regarde l?activité corporelle au quotidien, le corps nous dit beaucoup plus que ce que les personnes voudraient nous raconter. Donc on ne contrôle pas le corps. Il n?arrête pas de nous trahir. On a très peu de conscience de ce que l?on est. C?est pour cela que, très souvent, on est dans la difficulté avec notre corps. On a cet inconscient de soi. Et c?est pourquoi lorsqu?on voit l?image de notre corps, l?on est surpris de la même façon que lorsqu?on entend sa voix. Les autres, en fait, peut-être, savent plus que nous ce que l?on est à travers notre corps. L?intérêt du corps, c?est qu?il est polysémique : il envoie plusieurs messages en même temps, il y a plusieurs strates d?informations qui nous parviennent du corps. Donc c?est très complet et très complexe. Qu?a-t-il de spécifique le corps ? C?est le point de recherche, ce sont la question et la finalité en même temps ; c?est le vecteur qui se rapporte à l?homme, à l?être fondamentalement. Le corps est quelque chose de très archaïque. C?est-à-dire lorsqu?on dépasse juste les données exotiques de petite différence du contexte; après lorsqu?on se rapproche de l?intérieur de ce corps, de ce qui nous fait agir, là on commence à trouver des points communs d?un point de vue archaïque. Et c?est dans ce sens que le corps est intéressant et nourrit la danse. Est-il possible de définir l?homme à partir de son corps ? Quelle est votre approche du corps par rapport au temps et à l?espace ? D?abord, je pense qu?il est suffisamment complet et complexe pour effectivement définir l?homme en fonction du corps. Ensuite, la question du temps s?impose effectivement. La gestion du temps à travers une construction devient une donnée très fondamentale, quelque chose d?intrinsèque. Le temps est toujours présent à partir du moment où le corps commence à émettre un signe. Le corps est toujours dans une espèce de relation intérieure et d?extérieur. C?est parce qu?il y a une nécessité intérieure que tout à coup un geste apparaît. Donc il y a ce signe fourni vers l?extérieur. Ensuite, si on revient à l?idée de la danse et de la chorégraphie, c?est justement à la fois l?espace que le geste développe autour du corps qui est plus au moins grand et plus au moins serré et l?espace qui est traité parce que le corps, lui-même, se déplace ; donc à la fois il crée et rythme l?espace dans lequel il est et compose. L?on parle d?emblée de double relation à l?espace. La danse serait-elle une écriture ? Ce n?est pas uniquement une écriture ; au moment où le geste est produit, celui-ci est un geste de création, il naît de tout un enfouissement d?histoire : chaque geste est une histoire en lui-même. En plus, on ne danse jamais gratuitement. C?est toujours quelque chose qui s?est élaboré dans un travail de coopération entre le projet du chorégraphe et l?acteur, celui qui agit et comment il va exister et nourrir ce projet et en même temps, il est dans une projection de lui-même : à la fois, il est dans une écoute d?un projet et productif. Il participe à la construction du projet. Et le geste se crée au même moment ou est-ce un acte préétabli ? On ne connaît pas et on ne veut pas connaître l?aboutissement du projet de façon à ne pas fermer les portes de la création sur un but unique. C?est-à-dire, on est tout près aujourd?hui de dévier d?une intention première si on estime que cette déviation est plus intéressante que le projet initial, conceptuel. A un moment donné, le corps, lui-même, fait ses propres choix, l?on suit, l?on est à l?écoute, l?on provoque. Le projet s?impose et dans cette imposition, lorsqu?on va pouvoir l?apercevoir, on va nourrir cette imposition. Quel est l?avenir de la danse contemporaine ? Elle est en devenir. Elle n?est liée à rien, elle s?est même libérée de sa propre histoire et aujourd?hui, elle n?appartient à personne, elle appartient à tout le monde. Chacun est aujourd?hui en droit de revendiquer sa propre contemporanéité en fonction de son contexte culturel. Avec des composantes assez différentes et des identités plurielles. (*) Robert Syfreid est un chorégraphe français qui s?est produit à Alger, à Oran et à Béjaïa au mois de juin.