Image Juste après le f?tour, Hafida dépose sa tablette en carton pour vendre des cigarettes. Un rituel qu?elle observe chaque soir depuis le début du mois sacré. Ses veillées, Hafida les passe à compter les quelques dinars qu?elle amasse. «Il faut bien vivre», marmonne-t-elle. A 38 ans, cette mère de famille, originaire de Tiaret, s?est réfugiée dans la rue depuis son divorce, il y a dix ans, avec un époux violent qui la battait sans raison. «À cause de lui, j?ai été victime de cinq fausses couches. Il a tué mes cinq enfants ! J?ai dû demander le divorce. Je ne pouvais revenir à la maison, ma belle-mère ne voulait plus de moi. Les trottoirs sont mon seul refuge», raconte-t-elle en riant presque joyeusement. Un jeune client vient acheter deux cigarettes sans prendre sa monnaie. «Et dix dinars de plus ! Tout à l?heure un autre acheteur m?a donné 5 DA. Aujourd?hui, c?était la catastrophe. J?ai quémandé sans rien avoir. Vous savez, parfois je ne récolte rien, donc je ne mange pas. Heureusement que, pour le ramadan, il y a les restos du c?ur. C?est bien, nous pouvons au moins manger à notre faim.» Les soirées de cette femme sont lugubres : solitude, larmes, souvenirs. Surveillant de près ses sachets où s?entassent ses vêtements, elle installe ses cartons pour dormir sous les arcades de l?Aletti, à quelques mètres du commissariat. «Un policier vient de m?interdire de vendre les cigarettes, je l?ai supplié pour qu?il me laisse les quelques paquets qui me restent», dit-elle en poussant un long soupir : «Faut bien survivre, aller à la douche, manger... Je veux partir voir mon enfant de quatre ans qui est encore chez son père à Tiaret, mais je ne peux pas, je n?ai pas assez d?argent. Il me faut plus de 1000 DA ! Où pourrai-je avoir cet argent?» Un jeune passe. Il danse en écoutant de la musique, un baladeur à ses oreilles. Hafida le regarde puis lance : «Les soirées ne sont pas pour les gens comme moi. Mon seul but, c?est d?avoir de l?argent. Personne ne vous en donne, les personnes généreuses sont rares !» Quelques minutes plus tard , Widad, 34 ans, se joint au groupe. Originaire de Biskra, cette jeune fille a fugué de chez elle, elle a été violée par son beau-père et sa mère ne voulait pas la croire. «C?est mon beau-père qui m?a dépucelée. Imaginez. Quelle horreur ! Depuis l?âge de 20 ans, je n?ai pas revu ma famille. Je ne sais pas si ma mère est vivante ou pas.» Widad a accouché à 15 ans, le père de son enfant, un jeune Oranais, est en prison, il refuse de le reconnaître. «Je suis une nomade. Une fille des tentes et du désert. Je ne connais rien de la ville. C?est ici que j?ai appris à mettre les pantalons, à me maquiller, à voir les voitures, les hôpitaux ?» Warda, qui les rejoint, et Hafida passent leurs soirées ensemble. Elles discutent, pleurent, rêvent et espèrent. À 3h, elles vont se coucher sur le bitume. Un jeune «Chaoui», comme il le prétend, se joint aux deux femmes. Il discute avec Warda, elle lui plaît. «Pourquoi ne pas vous marier avec Warda, si elle vous plaît tant ?» Le jeune homme, qui plaisantait et ricanait, se tait et lève le visage vers la jeune femme puis rétorque : «Ce ne sont pas des femmes de confiance.» Warda le regarde puis sourit ironiquement : «L?Algérie est une vache généreuse, mais c?est aussi un monstre. Nul ne vous donne sans vous arracher quelque chose.»