?uvre Halima Lamine conçoit des poèmes parlant de passion, d?émotions, d?extases, d?instants de silence mais aussi d?euphorie. «Deux siècles, un espace» est un recueil de poèmes, se déversant successivement, les uns après les autres, avec fracas, dans une articulation morphologique homogène, dont chaque passage est accompagné d?un dessin, imaginé et réalisé par la poétesse elle-même, et qui met en scène des personnages, à l?image de sa poésie, écrasés, fracassés, tourmentés, des personnages, devenant fugitifs, qui se désintègrent quelque part dans le néant, dans l?absolu. Déjà, Halima Lamine, la poétesse, interpelle, dès la première strophe, le lecteur, une interpellation se faisant sur un ton exclamatif, une interjection débordant de sentiments mêlés d?indignation, de refus, de dépit? Halima Lamine, certaine de son attitude, interpelle le lecteur dans une posture «hautaine», comme si elle relevait un défi à ceux qui veulent se dresser sur son chemin, lui entraver sa trajectoire, endiguer ses aspirations, annihiler ses pulsions... Elle s?adresse au lecteur, son semblable, donc elle s?adresse à elle-même, à son second, à l?autre «moi» qui l?habite, la côtoie et cohabite dans son existence dans ses deux versions : intime et apparente. Elle entre dans une dualité, un combat intérieur, une lutte qui, finalement, l?épuise, mais en même temps, et paradoxalement, l?inspire, la conforte, la réconforte : son «moi», ce for intérieur, devient une source d?inspiration, un lieu d?écriture, l?écriture de soi, de l?autre, celui avec qui elle veut partager une intimité, une existence sentimentale ; ce «moi», qui l?inspire si profondément, la jette d?emblée dans l?ivresse des mots : une ivresse nonchalante, voire poétique qui lui fait perdre tout contrôle de soi, de ce corps qui est sien et qui se perd, se dilue dans l?inexistence, dans l?indifférence de l?autre, qui se déforme pour se revêtir d?autres apparences beaucoup plus imprécises, informes, chaotiques? Cette même ivresse, l?enivrement des mots la fait singulièrement vibrer, chavirer dans le questionnement de soi, toujours de l?autre, donc elle la fait réfléchir jusqu?à l?évanouissement dans une philosophie mélancolique, anarchique? Et d?un bout à l?autre, sans équivoque, elle traduit son tiraillement, un paradoxe qui la caractérise : amour et haine, violence et douceur, espoir et détresse, vie et mort, vice et vertu ? Par instants, momentanément, elle évoque la mort, l?apprécie car elle la console? Halima Lamine se caractérise, de façon distincte, par une poésie forte, fulgurante, particulièrement expressive : c?est un cri à la fois d?espoir et de détresse, un cri se faisant entendre dans un retentissement éblouissant, insistant, interpellant toute conscience, toute sensibilité excitante ici-bas. Un cri pour dire son impuissance, ses malheurs, sa solitude, son angoisse et son agressivité, et afin de dire aussi celui pour qui elle a bu un verre jusqu?au délire de l?âme, l?évanouissement du corps, l?ivresse de l?esprit. Jusqu?à ce que l?esprit se vide, perde tout contrôle de soi. Et le sentiment de perdre contrôle revient d?une strophe à l?autre dans une redondance continue, régulière. Halima Lamine conçoit des poèmes comme les fleurs du mal, ces fleurs qui piquent, cet amour auquel elle aspire et qui, hélas, s?avère une aventure infructueuse, une expérience éprouvante, est spectaculairement douloureux, tout à fait déroutant? Dans un cri furieux, mortel, la poétesse se laisse envahir par l?émotion contre laquelle elle lutte néanmoins ; une lutte incessante, évanescente cependant ; et impuissante, elle se laisse entraîner dans cet élan vertigineux du questionnement de l?être.