Ranc?urs Un vieux couple se lance des accusations devant le juge. Après plus de trente ans de vie commune remplie d?enfants (douze SVP), Le vieux Saddek, 68 ans, et Fatima, dix ans de moins, mais qui en paraît vingt de plus que le mari, se présentent devant Foudil Laïch, le juge de Hussein-Dey et insistent sans trop de conviction sur le divorce. La rupture paraît totale, définitive et sans recours. Mais le président a son mot à dire? «Le divorce est une entreprise sérieuse pour qu?on le demande debout, bouillonnant, plein de ranc?ur», avertit le magistrat qui invite «le couple à poser la problématique car il se peut que des futilités soient la cause de votre malentendu», récite le juge. Il s?attend, et il ne se fait pas d?illusions, à entendre deux versions diamétralement opposées. Il trouve une minute pour rappeler au couple en état de délabrement moral que le divorce est aussi sérieux que le mariage, cette véritable institution souvent bâclée. Il sait aussi l?état lamentable de Fatima très marquée non seulement par les grossesses répétées, mais aussi par les multiples et insupportables scènes de ménage qui ont mené le vieux «duo» à se séparer. Tout cela va jouer sur le moral de Saddek décidé à tout briser ? de la Fatiha au livret de famille en passant par les alliances familiales. «M. le président, je suis à bout de forces. Elle m?a poussé au bord de la dépression», clame le vieillard alors que sa moitié gigote, la face marquée par de profondes rides et un rictus qui en disent long sur l?absence, depuis longtemps, d?élans amoureux et autres roucoulements permis par la charia et les liens du mariage. Et comme pour «censurer» les propos blessants de Saddek, Laïch pose une question déroutante et bienvenue : «Vous avez des enfants ?», s?inquiète le magistrat qui a regardé Madame Zahera Kouchid, la greffière qui fêtait, ce jour-là, le vingtième anniversaire de ses débuts dans le monde ardu de la justice. En guise de réponse, Saddek dit : «Pfut !» comme pour rappeler au juge qu?il y en avait eu douze ! Fatima gesticule. Elle veut dire tout haut ce qu?elle rumine depuis vingt minutes. Puis, s?enhardissant, elle lâche, en regardant son mari qui est bouche bée, qu?elle est abandonnée depuis belle lurette. «Où sont les doux moments vécus dans la même couche ? On ne mangeait que lorsqu?on avait assouvi nos désirs?» Il y a dix ans depuis que l?on ne dort plus ensemble. D?abord, tu ronfles, coupe Saddek. Laïch sourit. Il laisse faire à dessein. Il sait par expérience qu?un couple invité à tout déballer, se sent mieux à l?issue de l?audience. Et le top est atteint au moment où elle achève ses plaintes par un magistral et significatif aveu : «Lorsqu?il a chaud, je joue au congélateur». En l?absence d?avocats, vous devinez que le droit fait de même. Alors on revient aux accusations. -Il n?y a pas si longtemps, elle a f? une raclée à ma fille mariée et mère de famille, ma fille du premier lit, s?entend, clame le vieillard. -Il ne vous dit pas ce que je fais quotidiennement à son fils handicapé et ce, depuis 1994, à la suite d?une balle reçue au crâne lors d?une embuscade à Chlef, réplique Fatima qui rigole lorsque son mari crache son ultime plainte : «Elle m?a provoqué, elle m?a traité de lavette et dit : «Divorce si tu es un homme. Et comme je le suis, je persiste et je signe». Laïch les invite à mieux réfléchir et à revenir dans deux mois.