Image Les rameurs saluent Lamartine et l?invitent à une promenade. Il fait un froid glacial, ce matin d'octobre 1816, mais le ciel est clair et la promenade sur les bords du Bourget, à Aix-les-Bains, est assez agréable. Le jeune homme, arrivé quelques jours plus tôt pour une cure thermale, se sent revivre. Il n'a plus ses maux de tête et il semble avoir retrouvé la vigueur de ses jambes. Il s'appelle Alphonse de Lamartine et il est destiné à devenir un grand poète, mais, pour le moment, même s'il compose des vers, il n'est pas encore célèbre et il ne pense qu'à reprendre des forces. En fait, il n'est pas seulement malade : il est surtout déprimé par une vie pleine de déceptions et de contradictions. A vingt-six ans, en effet, Lamartine se cherche toujours. Sa famille, qui appartient à une vieille branche de l'aristocratie française, est royaliste. Son père a failli être guillotiné durant la Révolution et il a dû se réfugier, avec les siens, à la campagne où la famille vit depuis. Le jeune garçon, élevé dans une école religieuse, sera porté sur le mysticisme. On le voyait déjà prêtre mais, brusquement, à vingt ans, il renonce à ses projets et se tourne vers les plaisirs de la vie. Les femmes et le jeu occupent ses journées et il s'endette au point que sa mère doit vendre ses bijoux pour lui éviter la prison. Elle lui présente des jeunes femmes de la bonne société dans l'espoir qu'il se marie et se range, mais il refuse. Il ne travaille pas, il s'ennuie à vagabonder dans les rues, il souffre de maux de tête et ressent des douleurs dans la poitrine. C'est alors que le médecin de famille l'envoie à Aix pour une cure de quelques jours. Le jeune homme s'approche de l'embarcadère où des barques sont amarrées. Les rameurs le saluent et l'invitent à faire une promenade sur le lac. ? Vous pensez que le temps se prête à une promenade ? leur demande-t-il. ? Bien sûr ! répondent-ils. Il monte dans une barque. Bientôt elle se détache de la rive et, en quelques minutes, prend le large. Les eaux sont parcourues de petites vagues. L'air est encore plus frais que sur la terre, mais c'est un air revigorant et sain qui tient l'esprit en éveil. Au loin, on aperçoit une barque. Lamartine se dresse. Elle est man?uvrée par une seule personne et cette personne est... une femme ! ? Qui est-ce ? demande-t-il à un des rameurs. ? C'est une pensionnaire du docteur Perrier. Elle a loué une barque et elle a voulu la man?uvrer elle-même. Lamartine la reconnaît maintenant. C'est la jeune femme qui l'a tant intrigué, à la pension. Elle occupe une chambre mitoyenne de la sienne et il l'a aperçue à deux ou à trois reprises, mais il n'a pas réussi à l'aborder. Le docteur Perrier, qu'il a interrogé à son propos, lui a dit qu'il s'agit de Julie Charles, l'épouse du célèbre physicien, membre de l'Institut et secrétaire de l'académie des sciences. Il lui a aussi dit qu'elle vient des îles et qu'elle a du sang créole dans les veines. En tout cas, c'est une jeune femme très belle et, elle aussi, elle est à Aix pour des soins. ? Vous ne croyez pas que c'est dangereux pour une femme de s'aventurer ainsi seule sur le lac ? ? C'est sa volonté, monsieur. ? Où peut-elle se diriger ?? Vers l'abbaye de Hautecombe. ? C'est loin d'ici ? ? C'est de l'autre côté du lac. Elle a une bonne distance à parcourir. (à suivre...)