Il n'est pas question de discuter ici de la nature des chats. Il y a des spécialistes pour cela, qui affirment que le chat est indépendant et s'attache surtout à la maison plutôt qu'à son maître. D'autres spécialistes diront exactement le contraire, et si l'on interroge cent propriétaires de chats, chacun trouvera que son Raminagrobis personnel est le plus intelligent, le plus fantasque, le plus curieux, bref, le plus beau félin du monde. Mais il est des gens qui détestent les chats. Et il y en a beaucoup plus qu'on ne le pense. Peut-être ont-ils été griffés ou mordus dans leur enfance. C'est le cas de beaucoup. Mais d'autres sont victimes de véritables allergies. Edouard Crimpton, ingénieur agronome en Californie, est allergique aux chats. Il n'a jamais pu de sa vie caresser un chat. Une véritable répulsion s'empare de lui à la vue du moindre félin, même en bas âge. Lui parler de chat, c'est déjà lui donner des frissons. Un chat, pour lui, c'est pire qu'un serpent pour n'importe qui. C'est stupide, il le sait. Il a même essayé de comprendre, et il a été jusqu'à faire analyser chimiquement des poils de chat pour déterminer quelle substance lui faisait ainsi dresser ses cheveux sur sa tête. Mais il n'a rien découvert de concret. Alors, il est passé par un ami, spécialiste de la psychanalyse, qui a tenté d'arracher à son subconscient des associations d'idées, aussi aléatoires que stupides. Ce fut peine perdue, fort heureusement. Edouard ne saura jamais si sa répulsion des chats est due ou non au fait que sa mère portait des étoles de fourrure, ou son père des chaussettes de laine... Cela n'a pas empêché Edouard Crimpton de se marier, de réussir brillamment dans son métier où il est encore à l'heure actuelle une valeur sûre. Une fois marié, une fois installé dans une petite maison sous le soleil de Californie, Edouard Crimpton a gentiment demandé à sa femme de lui faire un fils. Et gentiment, Elisabeth Crimpton s'est exécutée. Le fils est là. Dans un berceau d'osier, du genre moïse, posé à même le carrelage car il fait chaud. Sa mère fait de la couture comme tous les après-midi, son père est en tournée du côté des orangeraies, à quelques kilomètres de là. C'est un bonheur tranquille, californien et respectable, américain bon teint. En rentrant le soir de sa tournée, Edouard Crimpton ne sait pas qu'un mauvais plaisant vient de lui jouer un méchant tour. Un très méchant tour. Et il ne peut pas imaginer non plus comment va tourner ce méchant tour. Il faut un concours de circonstances tellement exceptionnel qu'Edouard ne peut rien imaginer. Il est monté dans sa jeep. Il roule et il s'énerve. Par moments, il entend dans son moteur une sorte de grincement bizarre. Or, il a vérifié dix fois, et dix fois il n'a rien trouvé. Arrivé devant son bungalow, Edouard vérifie une dernière fois le moteur de la jeep, ne voit toujours rien de suspect et s'apprête à franchir le perron de bois, lorsqu'il entend à nouveau le grincement bizarre... Et cette fois, comme le moteur ne tourne pas, le bruit est plus facilement repérable. Le bruit vient de l'arrière du véhicule, sous le siège. Il y a là une sorte de boîte à chaussures ficelée et percée de trous. Quelque chose remue à l'intérieur. Avec précaution, et se doutant tout de même d'un mauvais coup de la part de ses collègues, Edouard prend la boîte, s'installe sur la véranda, l'ouvre avec précaution et pousse un cri de femme devant une souris. C'est un chat. Un petit chat noir, fou furieux, qui jaillit du carton comme un diable et court se réfugier on ne sait où. Les chats sont doués pour se réfugier on ne sait où. Edouard, lui, est aussi fou furieux que le chat. Il a horreur de ce genre de blague. D'autant plus horreur qu'il ne s'y attendait pas. Et même pour un homme raisonnable comme lui, c'est un choc. (à suivre...)