Parcours Zahia est la première algérienne qui a assisté au Congrès international des sourds-muets qui s?est tenu à Washington en 1973. «Les gens ne comprennent pas et ne connaissent rien sur la vie d?un sourd-muet ou d?un malentendant. Notre handicap n?est pas apparent, donc ils ont tendance à ne pas nous voir, à nous oublier et à ne pas nous croire. En 1993, je suis allée déposer mon dossier au niveau de la Caisse de sécurité sociale pour avoir ma pension de 1 000 DA, l?agent, qui devait prendre mon dossier, m?a regardé de pied en cap puis m?a rétorqué ironiquement que j?étais bien portante et que je n?étais pas invalide ! A Staouéli où je vivais, lorsque je rencontrais mes voisines en train de discuter, je leur demandais de parler lentement pour que je puisse suivre et comprendre, elles ne me croyaient pas et disaient que je discutais couramment ! C?est de la méchanceté. Pourquoi se comportent-ils ainsi ? Pourquoi ne peuvent-ils pas répondre aimablement à un sourd ? Les sourds-muets souffrent, la plupart d?entre eux sont malheureux, brisés et rejetés par leur famille chez nous !», confie Zahia. C?est sa fille Amira qui interprète ses gestes. La dame âgée d?une cinquantaine d?années paraît en avoir moins. Son allure sportive, ses cheveux courts et ses gestes souples la rajeunissent. «Je suis allée en France et je n?avais aucun problème. Je me suis intégrée rapidement et je poursuivais mes études normalement. Lorsque je suis revenue au pays pour des raisons financières car je ne pouvais continuer mes études, j?ai eu beaucoup de mal. Ici, il n?y a rien et les sourds-muets ne peuvent rien faire même pas étudier ! Les écoles qui existent assurent une formation jusqu?à l?âge de 16 ans, l?élève s?inscrit ensuite dans un centre de formation sans pour autant avoir la chance de passer le bac ou d?aller au-delà de ses désirs.» La jeune mère de cinq enfants ajoute qu?en France il existait des clubs, des espaces et des activités pour les sourds-muets, ce qui est introuvable en Algérie. «En France, nous n?étions pas exclus de la vie sociale et active comme ici. En Algérie, les filles sourdes sont généralement réduites à l?état d?esclavage et sont considérées comme des boniches, des bonnes à tout faire. Les garçons aussi, mais à un degré moindre. Les parents ont honte de donner naissance à des sourds-muets. Ils sont les premiers à les mépriser et à leur contester leur droit à la vie.» Zahia ajoute que de nombreux sourds-muets ou malentendants sont devenus dépressifs, fous ou se sont même suicidés à cause du rejet et de l?incompréhension familiale et sociale. «Avec l?âge, le sourd-muet devient plus anxieux et angoissé, car il ne peut s?exprimer. Il souffre aussi des troubles de vision puisqu?il se sert trop de ses yeux. Personne ne l?aide à vivre avec ses difficultés et rares sont ceux qui l?acceptent tel qu?il est.» Zahia précise que c?est elle qui a décidé d?étudier, elle a refusé de rester cloîtrée à la maison parce qu?elle est sourde comme ses deux cousins. «J?étais ambitieuse et je voulais apprendre, mes parents ont dû accepter. Aujourd?hui, j?apprends tout cela à ma fille malentendante, il faut qu?elle étudie et qu?elle réussisse, qu?elle soit la meilleure et qu?elle n?attende rien des autres.»