Questionnement Un peuple peut-il réellement faire l?apprentissage de la démocratie sous les éclats des bombes et le bruit de bottes des GI ? Rien n?est moins sûr même si Bush et ses alliés ont vite fait de se frotter les mains à l?annonce du taux de participation, inattendu il faut le souligner, de 60%. Chiites et Kurdes ont amplement contribué à réaliser ce score. Les sunnites ont, eux, répondu pour la plupart aux appels de boycott des organisations religieuses refusant de cautionner, disent-elles, un scrutin sous l?occupation. Le courage des Irakiennes et Irakiens ayant bravé, nombreux, la mort et défié les obus pour vivre l?immense bonheur de glisser une enveloppe dans l?urne, a été unanimement et rapidement salué par le monde. Tout aussi rapidement a, néanmoins, commencé la surenchère. Jubilant, Bush s?est précipité vers le podium installé dans l?enceinte de la Maison-Blanche pour prononcer un discours dont il ne tentera nullement d?atténuer les intonations triomphalistes. Pour lui, le succès du rendez-vous est une victoire de sa politique de guerre et une caution à l?occupation de l?Irak par ses troupes. Prendront ensuite le relais, à partir de leurs capitales respectives, les alliés du locataire de la Maison-Blanche, australiens, britanniques? pour rappeler au monde que, eux aussi, ont participé «à cette fête de la démocratie et cet avènement de la liberté». Dans le camp opposé à l?invasion de l?Irak, Chinois et Espagnols, notamment, ont, tout en félicitant les Irakiens pour leur courage, exprimé leurs inquiétudes et mis en garde contre les conséquences qui pourraient découler de l?abstention des sunnites. Selon les observateurs de la scène irakienne, la surenchère ne se limitera pas aux grandes puissances du monde, elle va inévitablement se déplacer à l?intérieur même du pays pour opposer les différentes communautés, une fois les attentes des uns et des autres, de ce scrutin, déçues. Ce qui ne manquera pas d?arriver. En votant en masse, chiites et Kurdes croient prendre leur revanche sur une hégémonie des sunnites qui les a exclus jusque-là. L?espoir des premiers est de prendre le pouvoir alors que celui des seconds est d?acquérir leur indépendance. Les Américains, maîtres du jeu, ont d?autres projets. Pour préserver leurs intérêts, ils ne laisseront aucune communauté prendre le dessus sur l?autre et les chiites feront vite de s?apercevoir qu?en fait il s?est agi de les instrumentaliser dans un simulacre de démocratie ne visant, en réalité, qu?à reconduire les actuels hommes au pouvoir, connus pour être les hommes des Etats-Unis. Il est fort à parier que les chiites opteront alors pour une opposition armée. Quant aux Kurdes, le mieux que les Américains accepteront de leur concéder est une autonomie relative. Et, là aussi, la déception sera grande et la réaction imprévisible.