Confession «Lorsque je vois cet homme voûté, épuisé et dévoré par la vie qu?est mon père, tout le mal qu?il m?a fait ressurgit. J?ai tant de mal à pardonner, à oublier.» Saïd est père de deux petits enfants, Yacine et Réda. Il est marié depuis cinq ans seulement. «Je me suis marié tardivement, car j?avais peur du mariage, de rater ma vie et de détruire celle de mes enfants plus tard. J?avais peur d?être un tyran et un mauvais père. J?ai longtemps souffert d?un manque terrible de confiance. Je ne suis pas sûr de moi.» A 44 ans, cet homme au visage levantin garde encore les séquelles d?une enfance violentée. «Au village, ma grande famille était réputée, mon père était un homme respecté et estimé. Pourtant, les autres enfants ne vivaient pas comme nous. C?était un régime infernal imposé par un père autoritaire et colérique. Tout nous était interdit : les balades en montagne, la chasse au moineau, le ballon. Nous devions être polis, propres et respectueux ! Des robots que papa manipulait à sa guise.» Dans cette famille de huit enfants, Saïd, le môme aux cheveux noirs et aux yeux clairs, était le plus jeune et le plus rebelle. «Mes s?urs n?avaient pas le droit d?étudier, elles sont restées à la maison ; en revanche, les garçons devaient étudier et avoir de bonnes notes, sinon c?était la raclée», confie-t-il. Il se rappelle encore les jeux qu?il adorait et dont il a été privé. «Chaque fois qu?un oncle ou une tante venait se plaindre, nous étions battus. Mon père ne voulait rien savoir.» C?est dur pour Saïd de déterrer son passé, il se tait un moment puis reprend, la main posée sur la cuisse : «Jusqu?à présent, je garde encore les traces de la boucle de sa ceinture sur ma cuisse gauche. Mon père m?a battu, ce jour-là, parce que j?ai osé lui désobéir et jouer au ballon avec mes amis. En regardant ma cuisse, j?ai toujours mal, c?est un témoin de ma douleur.» Zahia, sa mère, n?était pas épargnée par les coups si elle tentait d?intervenir. «Je crois que mon père ne l?a jamais aimée. Elle n?a jamais eu droit à une parole tendre, pourtant c?était une orpheline. Lorsque je me révoltais contre cette dictature, je voulais soutenir ma mère, il se jetait sur moi comme un sauvage.» Saïd est, aujourd?hui, commerçant, il a une boutique de vêtements à Alger, il adore sa femme Karima qui l?a beaucoup aidé. «Je suis content de ma petite entreprise, je me suis lancé avec un ami. Je crois que seul, je n?aurais rien pu faire. Je n?ai jamais été bon à l?école, je n?ai aucun diplôme. Je n?ai pas pu me lancer dans une formation ou choisir un autre créneau, avec tout ce que je subissais, j?avais peur de l?échec, je manque de confiance.» Saïd n?a pu se lancer dans cette activité qu?après l?invalidité de son père, il est diabétique, il a pris de l?âge, il n?a plus aucune force. «Ma mère est libre, elle peut aller seule chez le médecin, voir ses filles mariées, il est délaissé par tout le monde. Aujourd?hui, il me réclame de l?écoute, de l?argent, de l?affection alors qu?il ne m?en a jamais donné. Il a besoin de moi, de nous. Je n?éprouve que de la pitié pour cet homme qui n?a fait que me battre et me priver de mon enfance.»