C., banlieue résidentielle de New York, sur la côte Est, 19 mai 1992. Betty, une adolescente de dix-sept ans, prépare son examen de fin d'études qui aura lieu dans quatre semaines. Elle est bonne élève et n'aura aucune difficulté à obtenir son diplôme. Elle est la fille unique d?un couple de commerçants honorables ; plutôt solitaire, selon ses camarades de classe. Gâtée par ses parents, elle roule en voiture de luxe, une Chrysler noire décapotable. Silhouette mince, visage sans réelle beauté, aux traits boudeurs, au menton curieusement lourd, à la petite bouche dégoûtée. Cheveux en crinière de lionne, qui balaient un front haut et étroit. Regard dérangeant de l'adolescence un peu provocatrice. Jean déchiré aux genoux, tee-shirt et baskets. C'est elle, l'héroïne de l'histoire, le scandale le plus affriolant de la côte Est, le symbole d'une drôle de jeunesse américaine. La banlieue où vit Betty ressemble aux images classiques des feuilletons télévisés. Alignements de maisons à terrasse, pelouses soigneusement tondues, avec petits sujets en couleurs. Ce n'est pas Long Island, le refuge des riches ; c'est la banlieue classe moyenne. Les épouses font les courses au supermarché, se réunissent pour discuter régime et produits de beauté ; les enfants jouent au basket-ball devant les garages identiques à ouverture électronique où, le samedi, les pères rangent la voiture avant de tondre le gazon et d'installer le barbecue. Sur le front de mer s'alignent les maisons semblables, un peu plus élégantes, de la classe moyenne aisée, avec bateaux amarrés dans le port. Là vit un couple, dont on dit en général qu'ils sont sans histoire. Mike, trente-huit ans, l'air italien, lunettes noires, tee-shirt près du corps, sportif, est propriétaire d'un magasin de pièces détachées pour automobiles. Helen, sa femme, trente-sept ans, blond platine, silhouette agréable, plutôt jolie, est la mère de deux enfants de douze et neuf ans. Le bateau qui les promène le week-end porte un nom symbolique : «Double Trouble»... Ce sont eux, les autres héros de l'histoire. Nous avons donc en présence une adolescente américaine, un couple américain, et nous sommes le 19 mai 1992. Betty quitte son école, monte dans la voiture de son copain Peter, une magnifique Thunderbird rouge : «Allons-y ! ? Où ? ? Tu verras bien...» La Thunderbird rouge se dirige vers le front de mer, où réside le couple sans histoire. Mike est à son magasin, il est 11 h du matin. Helen est occupée chez elle à repeindre des sujets d'ornement pour sa pelouse. Betty descend de voiture et dit à Peter : «Attends-moi là !» Elle monte les marches de bois qui mènent à la terrasse et sonne à la porte. Helen vient ouvrir. Elle ne connaît pas la visiteuse, une gamine aux cheveux auburn, auréolés, ce jour-là, d'un rinçage violet plutôt agressif. «Oui ? ? Je voudrais vous parler de votre mari, Mike. Il a une liaison avec ma petite s?ur de seize ans... Helen regarde la jeune fille, étonnée, mais garde son calme. ? Vraiment ? ? Je trouve qu'un homme de quarante ans qui couche avec une fille de seize ans, c'est dégoûtant ! Cette fois, Helen sourit : ? Il n'a pas encore quarante ans, vous savez... ? Vous voyez ce tee-shirt que je porte ? Avec la marque de sa boutique ? C'est lui qui l'a donné à ma s?ur ! Je l'ai trouvé sur son lit ! ? Mike distribue ce genre de tee-shirt à beaucoup de monde... Bon, je vais l'appeler.» Mais Helen n'a pas le temps de se retourner ni de refermer la porte. L'adolescente sort un revolver semi-automatique, calibre 25, et tire sur elle à bout portant, à la base du cou. Helen s'effondre. La balle a touché la carotide. Betty redescend en courant les marches de bois, grimpe dans la voiture de Peter et crie : «Démarre ! ? Qu'est-ce que t?as fait ? T'es dingue ? ? Démarre, je te dis.» Le scandale de la côte Est, en ce printemps 1992, vient de commencer. (à suivre...)