Personnage Malgré un air sévère qu?il emprunte difficilement pour énumérer la liste des interdits avant de franchir le seuil de la cité d?El-Atteuf, Mohamed Brahim finit toujours par laisser tomber le masque. Guide depuis trente-cinq années, Mohamed Brahim est le seul à rester fidèle à un métier qui ne fait plus rêver les jeunes d?El-Atteuf. A chaque crissement de freins d?un taxi, ce vieil homme de 70 ans s?éjecte de sa petite cabine creusée dans la roche pour souhaiter la bienvenue aux arrivants. «Touristes ? Alors, les photos des habitations et ruelles, c?est possible, les gens non, surtout pas les femmes, attention !» Dans un français boiteux, il arrive à se faire comprendre avant d?emmener les visiteurs vers le petit musée improvisé à l?entrée même de la cité. Connaissant par c?ur son cours, il le prodigue à mesure qu?il se relâche, devient plus accessible, voire taquin. «Vous ne prenez pas de photos, allez-y, profitez !», dira-t-il en bouillonnant sur place comme une marmite sur le feu. «Maintenant, suivez-moi, vous allez aimer El-Atteuf», ajoute-t-il nerveusement tout en assurant qu?il ne sert à rien de s?impatienter. Poser des questions devient impossible avec lui. «Ecoutez à la fin du parcours s?il vous reste une seule question, cela veut dire que j?ai mal expliqué», dira-t-il, l?air sérieux avant de se lancer dans les ruelles de sa cité chérie à laquelle il ne rate jamais l?occasion de manifester son amour. Au milieu d?une ruelle étroite, il aperçoit un tunnel. «Que fait-il là d?après vous ?», lance-t-il. Sans même laisser à ses interlocuteurs le temps de répondre, il reprend : «C?était pour obliger les cavaliers lors d?une incursion de poser pied à terre, en plus l?air est plus frais dans cet endroit.» Au sommet d?El-Atteuf, devant la plus vieille mosquée de la Vallée du M?zab, Mohamed Brahim se tourne vers ceux qui n?ont posé aucune question. «Vous ne dites rien ? Ce n?est pas normal !» Il faut dire que c?est un classique chez lui puisqu?il pose sa question à chaque fois au même endroit. Et si quelqu?un lui en fait la remarque, il sourit comme un gamin en baissant la tête se dirigeant vers la prochaine étape. Au bout du voyage, le Parisien, comme l?appellent ses concitoyens parce qu?il s?exprime essentiellement en français et mal en arabe, montre ses photos souvenirs d?Alger. En arrivant vers celle où il nage en short à la plage de Moretti, il arrache l?album de photos à ceux auxquels il vient pourtant de le remettre, feignant d?être gêné. En quittant la ville, les visiteurs ne peuvent s?empêcher de se demander qui les a le plus marqués : El-Atteuf ou son guide Mohamed Brahim.