Vécu Sous une pluie battante, les Foteima préparent le repas. Sous la tente, on vit comme on peut? Le vent soulève avec force la grande bâche. La vieille Messaouda, assise, grelottante et pieds nus, sur un sommier de fortune, reste imperturbable. «C?est comme ça depuis deux ans !» assène-t-elle, la voix cassée, dans un silence de cimetière déchiré par le souffle du vent. Sa belle-fille, enveloppée dans une djelaba usée, accourt le dos courbé et les pieds nus, elle aussi, pour conforter un pilier en fer qui, s?il venait à tomber, enterrerait tout ce qu?il y a sous la tente. Tout, même le chat gris qui se dresse subitement sur ses quatre pattes. «Ah le chat, c?est Sheima qui l?a ramené, depuis il ne nous a jamais quittés». Là, Brahim, ne manque pas de glisser quelques phrases pleines d?ironie dans cette lourde atmosphère. La tente est un ramassis d?objets. Il y a de tout. De la toile cirée vieillotte, du bois rouge, de la ferraille, des centaines de sachets, du carton, des journaux? «Les enfants dorment à peine deux ou trois centimètres sur la boue. Avec le temps maussade, ces derniers jours, nous avons peur qu?ils tombent tous les trois gravement malades», avertit la grand-mère. Le «blizzard» redouble de force, mais la tente, bien dressée, de ces «nomades» semble solide. Mieux encore, la famille s?y est habituée. Dans le malheur, il n?y a pas mieux que de se prendre en charge. «Pendant deux ans, on a appris comment s?y prendre quand il y a un pépin, une vis à serrer, un pilier à consolider ou une brèche à colmater», explique Brahim. Il y a, faut-il le préciser, toujours une personne pour faire la réparation qu?il faut. El Hadj, 65 ans, compense sa faible acuité (il a depuis longtemps un problème de vue) par les orientations d?un vieux qui aura tout vu durant son existence prodiguées à sa fille et à sa belle-fille. Aïcha et Khalida laissent des fois marmite et vaisselle pour se concentrer sur les pénibles travaux de rafistolage de la tente quand Brahim est absent durant la journée. La cuisine est un lieu sans mur, juste à quelques centimètres de la tente. «Quand je prépare le déjeuner ou le dîner, les voisins de l?immeuble d?en face peuvent facilement voir ce que je fais. C?est pour vous dire que chez nous, le mot dignité n?a aucun sens !», se désole l?épouse de Brahim. La s?ur de ce dernier, en revanche, n?est pas très bavarde. «Mieux vaut se taire dans de pareilles circonstances», dit-elle pleine d?amertume. «Non, il faut dénoncer, il faut parler», lui en veut sa belle-s?ur qui se met subitement à pleurer à chaudes larmes.