Résumé de la 2e partie Mardi 22 septembre 1992, deuxième journée du procès d'Etienne, le tueur de prostituées. La troisième et dernière audience du procès, celle du mercredi 23 septembre, est de loin la plus dramatique. On doit y entendre Sinh, la dernière victime d'Etienne, la seule qui ne soit pas morte, mais dont le sort est, peut-être, plus terrible encore. Il arrive dans un fauteuil roulant et son état physique, tel qu'il est décrit dans le rapport du médecin expert daté du 14 septembre précédent, est effrayant : «Monsieur Sinh B. souffre d'une paraplégie flasque complète, c'est-à-dire d'infirmité totale des quatre membres, et de son cortège de complications. Il ne pèse plus que trente-six kilos. Son état lui rend toute autonomie illusoire. Sa maigreur est telle qu'il doit être pris en charge vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq jours par an.» Le jeune homme, à présent âgé de vingt-cinq ans, raconte la terrible nuit du 11 juin 1989. «J'avais senti dans mon dos quelque chose de dur en m'asseyant, comme si un livre était bloqué derrière le siège... On a fait quelques centaines de mètres et j'ai éprouvé comme une décharge électrique...» Il s'agit de la balle qui vient de fracasser sa dixième vertèbre dorsale et de se loger dans son foie... Son avocat, qui, après son départ de la barre, plaide le premier au nom des parties civiles, explique comment ce jeune Cambodgien en était arrivé à devenir travesti sur la Côte d'Azur, et son sort n'en apparaît que plus tragique encore. Il a grandi pendant la guerre civile. Tous les hommes de sa famille ont été torturés, massacrés par les Khmers rouges, et il a été élevé par sa mère, sa grand-mère et sa tante. Dans ce milieu de femmes, il a perdu la conscience de son identité masculine et, pour lui, devenir adulte a signifié devenir femme. Ensuite, Sinh s'est installé en France avec sa famille. Il est devenu coiffeur, puis a choisi de se prostituer dans l'idée de gagner assez d'argent pour rentrer chez lui. Mais le destin avait décidé qu'il monterait dans la Renault 21 d'Etienne... Après les autres parties civiles, l'avocat général rejette catégoriquement la thèse des crimes commis «par haine de la femme infidèle» et s'attache, au contraire, à démontrer qu'Etienne, qui a emporté à chaque fois le sac à main de ses victimes, a tué par «appétit sanguinaire, poussé par le profit». Et il termine : «Voilà quinze ans, vous auriez été condamné à la peine de mort. Je ne peux plus, aujourd'hui, requérir ce châtiment suprême, mais je demande aux jurés de vous condamner à la plus haute sanction prévue par le Code pénal : la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté incompressible de dix-huit ans !» La tâche de l'avocat de la défense, commis d'office, est assurément difficile et il ne le cache pas en commençant son discours : «Je ne dissimule pas l'ampleur de cette tâche et la dimension du combat.» Il ne nie pas les faits, qu'Etienne n'a jamais cherché à dissimuler non plus, et il va s'en prendre à ce qui est certainement le grand point faible de la justice française, l'article 64, qui définit la responsabilité pénale en fonction de l'état mental. Les experts ont dit qu'Etienne K., s'il présentait des anomalies psychiques indéniables, ne souffrait d'aucune maladie mentale au sens de l'article 64. Mais entre démence et normalité, il existe toute une zone intermédiaire dans laquelle se trouvent des individus comme Etienne, détraqués, troublés, ou ce que vous voudrez... «Etienne K. est donc coupable, conclut l'avocat. Ce n'est pas un malade mental, mais un pervers sexuel et, comme l'ont dit les experts, ses troubles psychiques sont liés de façon partielle aux crimes qu'il a commis.» Les jurés se retirent pour délibérer et leur verdict tient compte à la fois des conclusions du ministère public et de la défense. Si Etienne est bien condamné à perpétuité, comme l'avait demandé le procureur, en revanche, la condamnation n'est pas assortie d'une peine de sûreté, ainsi qu'il l'avait réclamé.