Résumé de la 59e partie Le sultan dit au vizir combien le palais, tel qu'il était, surpassait non seulement le sien, mais même tout autre palais qui fût au monde. Le grand vizir vit bien que le sultan était prévenu : il ne voulut pas entrer en contestation avec lui et il le laissa dans son opinion. Tous les jours, régulièrement, dès que le sultan était levé, il ne manquait pas de se rendre dans un cabinet d'où l'on découvrait tout le palais d'Aladdin, et il y allait encore plusieurs fois pendant la journée pour le contempler et l'admirer. Aladdin cependant ne demeurait pas renfermé dans son palais : il avait soin de se faire voir par la ville plus d'une fois chaque semaine, soit qu'il allât faire sa prière tantôt dans une mosquée, tantôt dans une autre, ou que de temps en temps il allât rendre visite au grand vizir, qui affectait d'aller lui faire sa cour à certains jours réglés, ou qu'il fit l'honneur aux principaux seigneurs, qu'il régalait souvent dans son palais, d'aller les voir chez eux. Chaque fois qu'il sortait, il faisait jeter par deux de ses esclaves qui marchaient en troupe autour de son cheval des pièces d'or à poignées, dans les rues et dans les places par où il passait, et où le peuple se rendait toujours en grande foule. D'ailleurs, pas un pauvre ne se présentait à la porte de son palais qu'il ne s'en retournât content de la libéralité qu'on y faisait par ses ordres. Comme Aladdin avait partagé son temps de manière qu'il n'y avait pas de semaine qu'il n'allât à la chasse au moins une fois, tantôt aux environs de la ville, quelquefois plus loin, il exerçait la même libéralité par les chemins et par les villages. Cette inclination généreuse lui fit donner par tout le peuple mille bénédictions, et il était ordinaire de ne jurer que par sa tête. Enfin, sans donner aucun ombrage au sultan, à qui il faisait fort régulièrement sa cour, on peut dire qu'Aladdin s'était attiré par ses manières affables et libérales toute l?affection du peuple et que, généralement parlant, il était plus aimé que le sultan même. Il joignit à toutes ces belles qualités une valeur et un zèle pour le bien de l'Etat qu'on ne saurait assez louer. Il en donna même des marques à l'occasion d'une révolte vers les confins du royaume. Il n'eut pas plus tôt appris que le sultan levait une armée pour la dissiper qu'il le supplia de lui en donner le commandement. Il n'eut pas de peine à l'obtenir. Sitôt qu'il fut à la tête de l'armée, il la fit marcher contre les révoltés ; et il se conduisit en toute cette expédition avec tant de diligence que le sultan apprit plus tôt que les révoltés avaient été défaits, châtiés ou dissipés. Cette action, qui rendit son nom célèbre dans toute l'étendue du royaume, ne changea point son c?ur. Il revint victorieux, mais aussi doux et aussi affable qu'il avait toujours été. Il y avait déjà plusieurs années qu'Aladdin se gouvernait comme nous venons de le dire, quand le magicien qui lui avait donné sans y penser le moyen de s'élever à une si haute fortune se souvint de lui, en Afrique où il était retourné. Quoique, jusqu'alors, il se fût persuadé qu'Aladdin était mort misérablement dans le souterrain où il l'avait laissé, il lui vint néanmoins en pensée de savoir précisément quelle avait été sa fin. Comme il était grand géomancien, il tira d'une armoire un carré en forme de boîte couverte dont il se servait pour faire ses observations de géomancie. Il s'assoit sur son sofa, met le carré devant lui, le découvre et, après avoir préparé et égalisé le sable avec l'intention de savoir si Aladdin était mort dans le souterrain, il jette les points, il en tire les figures et il en forme l'horoscope. En examinant l'horoscope pour en porter jugement, au lieu de trouver qu'Aladdin fût mort dans le souterrain, il découvre qu'il en était sorti et qu'il vivait sur terre dans une grande splendeur, puissamment riche, mari d'une princesse, honoré et respecté. Le magicien africain n'eut pas plus tôt appris par les règles de son art diabolique qu'Aladdin était dans cette grande élévation que le feu lui en monta au visage. De rage il dit en lui-même : «Ce misérable fils de tailleur a découvert le secret et la vertu de la lampe ! J'avais cru sa mort certaine, et le voilà qui jouit du fruit de mes travaux et de mes veilles !» (à suivre...)