Repère Les cafés d?El-Bahia ne sont pas de simples espaces où on se gave de café ou de thé à la menthe. Ils sont une ruche où bourdonne la vie ; un lieu où se fait et se défait l'histoire de la cité. Les sociologues les considèrent comme une mémoire qui garde dans ses plis les souffrances, les joies, les espoirs et les désespoirs d'une clientèle qui se recrute aussi bien parmi les habitants de la ville que parmi les visiteurs qui y font une escale ravigotante où se mêlent les odeurs de café aux senteurs du thé à la menthe, à leur arrivée, avant de partir à la découverte de la cité. Les cafés de la ville d'Oran étaient, autrefois, des lieux de communion où le client ne se sentait jamais seul. Stressé, il pouvait trouver une oreille attentive. Peiné, il trouvait du réconfort chez ses semblables. Des liens se tissaient, des affaires se concluaient, des unions se faisaient et se défaisaient dans ces espaces où le sourire était de mise. L'âge d'or de ces établissements remonte aux années trente et quarante du siècle dernier, quand ils constituaient, pour la clientèle de tous âges et de toutes conditions sociales, des clubs culturels qui ont permis au mouvement national de s'ancrer dans la société musulmane qui, vivant sous le joug du colonialisme, considérait les cafés maures comme des ghettos où étaient parqués les parias. Sadek Benkada, un enseignant universitaire, chercheur au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc), indique que «ces espaces, dont les plus réputés étaient à l'époque implantés dans le quartier populaire de M'dina J?dida, ont servi tantôt d'exutoire et tantôt de moyens de transmission du savoir, de la culture ou des messages des partis politiques qui activaient durant cette période de l'histoire du pays. La clientèle propre à chaque établissement faisait son cachet. Les Français considéraient ces lieux comme des repaires où se recrutait une main-d??uvre rompue au travail de la terre ou aux basses et pénibles besognes qui rebutaient l'Européen». Parmi les cafés maures qui ont marqué de leur empreinte cette période de l'histoire du pays, le café El-Widad, situé à la rue Benahmed-Mustapha, en plein centre-ville, garde encore, accrochés à ses murs, les balbutiements du mouvement national, les premiers pas de la Révolution du 1er Novembre, les youyous de l'Indépendance et la sueur des bâtisseurs de l'Algérie libre naissante.