La porte se referma et Settouta comprit qu?elle venait d?apercevoir le prince et la princesse du vieux rocher. «Il y a vingt ans, j?ai fait croire à mes reines que j?avais supprimé les jumeaux ; je devrais le faire plus sérieusement à présent ; après tout, j?ai été grassement payée pour cela !», ricana la sorcière. Elle frappa à la porte en pleurnichant : «Bonnes gens, aidez-moi, je suis une vieille malheureuse qui s?est égarée !» El-Fedda lui ouvrit toute grande la porte en disant : «Soyez la bienvenue chez nous, petite mère. Venez partager notre humble repas !». Après avoir bien mangé, la sorcière s?assit près de Dehbia qui brodait à la lueur de la chandelle et lui susurra à l?oreille : «Ce beau jeune homme, est-il bien ton frère ?». «Oui, et je l?aime de tout mon c?ur !», répondit la jeune fille. «Mais lui, ne t?aime pas assez..», répliqua Settouta. «Pourquoi dites-vous cela ?», s?étonna la jeune fille. Fine mouche, la vieille comprit qu?elle avait touché la jeune fille ; elle marqua alors un temps, puis la bouche en c?ur, elle prit un air mystérieux. Ce qui eut pour effet d?agacer Dehbia qui reprit vivement : «Vous ne savez pas de quoi vous parlez, nous sommes jumeaux et nous partageons tout depuis notre plus tendre enfance !». La sorcière fit semblant d?être offensée ; en colère, elle répliqua en prenant la porte : «Je crois que tu mérites une bonne leçon petite effrontée ! Si ton frère t?aimait vraiment, il t?aurait offert le gage de l?amour sincère, c?est-à-dire l?oiseau qui chante et dont le plumage se rapporte à son ramage !» Dehbia tomba aussitôt malade ; la fièvre s?empara d?elle et peu à peu elle s?enferma dans un mutisme effrayant. Un soir qu?El-Fedda était au chevet de sa s?ur et se lamentait de la voir dépérir à vue d??il, Dehbia leva vers lui ses beaux yeux flétris et lui demanda dans un souffle : «Frère, si tu m?apportais l?oiseau qui chante et dont le plumage répond à son ramage, je suis sûre que je guérirais !». Sur le champ, Le frère se mit en quête de l?objet désiré par sa s?ur bien-aimée. Il se rendit, d?abord, chez Debarre El-Soltane, c?est-à-dire chez le conseiller du roi, pour lui demander son avis. Celui-ci, en ces termes, le mit en garde : «Ce rossignol est magique ; quand il chante, l?aile qu?il tend fait ch?ur et lui répond. Cet oiseau appartient à Bramba, la fille de l?ogresse et du sultan du Grand sud. Ce roi avait épousé une ogresse qui avait pris forme humaine par amour pour lui et lui avait même donné une fille magnifique ! Un jour, Sa Majesté découvrit que la reine redevenait, la nuit, l?ogresse qui sévissait depuis des années dans la contrée. Le roi répudia alors sa femme qui emporta avec elle la fillette. Depuis, elles vivent, toutes deux, dans le château du mont de la Nostalgie. Au fil des années Bramba est devenue une magnifique jeune fille ; elle ne ressemble en rien à sa mère et elle refuse même de se comporter en ogresse en ne mangeant pas de chair humaine ! Pour la punir, sa mère l?a enfermée dans le donjon le plus haut du château. Cette tourelle est coiffée par les quatre nids des cigognes de la fécondité. Bramba vit, depuis quelques années, dans la tour avec pour seule compagnie l?oiseau magique». Le vieux sage soupira puis reprit : «Pour arriver au château du mont de la Nostalgie, tu devras franchir l?oued El-Heddjar, c?est-à-dire l?oued des galets ; la légende raconte que tout ce qui tombe dans ses eaux se transforme en petites pierres et coule au fond de son lit. Ensuite, il faudra que tu braves le courroux de l?ogresse noire qui vit dans la forêt de la Nostalgie, puis que tu traverses les abîmes sans fond entourant le château !» (à suivre...)