M. Naj, l?un des passagers du vol Paris-Dakar, n?est pas à l?aise. Depuis plus d?une heure, l?avion ronronne tranquillement dans le ciel sans nuages, la pancarte «défense de fumer» est restée allumée et l?hôtesse n?a pas bougé de son siège depuis le décollage. M. Naj n?aime pas ça. D?ailleurs, il n?aime pas l?avion. Il va se lever, entrer dans la cabine d?équipage et en avoir le c?ur net ! Les passagers lisent, dorment ou discutent sans s?inquiéter de rien. M. Naj constate avec effroi l?incroyable situation et la peur, la vraie peur, l?étrangle immédiatement. Dans la cabine, le radio et le copilote se sont effondrés sur leur fauteuil, bras ballants. Le commandant a également la tête renversée sur son siège et gît inanimé. M. Naj voit défiler des lambeaux de nuages dans ciel bleu. L?avion vole tout seul, l?équipage est mort, tout le monde est mort. M. Naj ne peut pas garder son sang-froid, il se précipite à l?arrière mais il n?arrive pas à crier. Apparemment, les passagers semblent ne se douter de rien. Heureusement, car la panique se déclencherait immédiatement. M. Naj tente de réveiller l?hôtesse. Peut-être va-t-elle pouvoir le rassurer, mais elle ne bouge pas. Morte, elle aussi. Alors, parmi les passagers, un homme se lève. Un homme qui a lu le drame sur le visage décomposé de M. Naj. C?est un officier parachutiste. Il l?exhorte à garder son calme. «Calmez-vous, surtout pas de panique, montrez-moi ce que vous avez vu.» Sans plus d?explication, les deux hommes pénètrent dans le poste d?équipage. En quelques secondes, l?officier s?est rendu compte de la situation. Les membres de l?équipage ne sont pas morts, ils dorment à poings fermés. Inutile de les secouer, on les a drogués, anesthésiés complètement et pour longtemps. Un coup d??il sur le tableau de bord renseigne l?officier. Il n?a jamais piloté, mais il connaît les instruments de bord des avions pour avoir sauté d?une bonne dizaine d?entre eux, dans tous les coins du monde. L?avion est en pilotage automatique, à neuf mille pieds, le carburant est à bon niveau, rien n?indique un danger immédiat. L?officier consulte la liste des passagers. Des gens inoffensifs, apparemment pas le moindre bandit dangereux. Personne d?ailleurs n?est entré ici depuis le décollage. Il en est sûr. Donc l?équipage a été drogué à terre et l?effet de la drogue a été calculé pour agir après le décollage. Heureusement, avant de sombrer dans le coma, le commandant a eu le réflexe de mettre l?appareil sur pilotage automatique. Dans les années 1950, les pirates de l?air sont rares et l?officier para n?y pense même pas. D?ailleurs, il y a autre chose à faire que de chercher le pourquoi des choses. Le plus urgent est de tenter de réveiller un des pilotes. En faisant un rapide calcul, l?officier estime l?arrivée à Dakar dans un peu plus de deux heures. Soudain, les nerfs de M. Naj craquent. Il se glisse derrière l?officier et court dans la cabine des passagers, en proie à une terreur folle. Or, il faut à tout prix éviter l?affolement. M. Naj se voit donc administrer par l?officier parachutiste une bonne paire de claques, assortie d?une menace sans équivoque : «Restez tranquille ou je vous assomme. Je m?appelle William Euvens, je suis officier parachutiste. Je m?occupe de tout. Il n?y a pas de danger, aucun danger, vous m?entendez ? L?équipage dort tout simplement. Alors on va les réveiller.» M. Naj bégaie un peu, puis prend le parti de se tenir dans un coin en couvant sa peur tout seul. L?officier l?a convenablement impressionné. (à suivre...)