Avec des efforts formidables, les trois aviateurs aident le commandant William à monter à bord du bateau pneumatique et poussent un soupir de soulagement? l?équipage entier est là, sain et sauf. A quelques mètres d?eux, des épaves de toutes sortes témoignent de la dislocation de l?avion au contact de la mer, qui vient de se refermer sur une nouvelle histoire de naufrage. Aventure presque banale et quotidienne en cette année de guerre. Au retour d?une mission sur les côtes de Norvège, à la recherche d?unités de la flotte allemande, un moteur qui prend feu puis explose et c?est l?amerrissage forcé dans un jaillissement d?écume, la ruée hors de l?appareil qui s?est cassé en deux, le canot pneumatique à gonflage automatique qui s?ouvre, le contact de l?eau glacée et ce sentiment de sécurité, d?être assis là, dans quelque chose d?étanche qui monte et descend au gré des vagues. Tandis que deux hommes se mettent aux pagaies pour tenter de récupérer quelque chose qui pourrait être utile parmi ce qui flotte, le commandant William fait le compte des vivres. Le bilan est vite fait : quatre tablettes de chocolat et trois de chewing-gum? évidemment, c?est dérisoire pour quatre hommes transis de froid, perdus à 250 kilomètres de leur base, en pleine mer du Nord. Comme ils en sont là de leurs réflexions, leur attention est attirée par le bruit qui sort de la petite cage d?osier que le commandant a jetée dans le canot avant d?y prendre place : «Le pigeon !» A bord des appareils Beaufort de la RAF stationnés sur des bases d?Ecosse, avant chaque départ, l?équipage recevait, en effet, des mains du lieutenant colombophile, deux pigeons, chacun dans une cage. En cas d?atterrissage ou d?amerrissage forcé, ces oiseaux, munis d?un message, constituaient le plus efficace des SOS. Dans le cas présent, ce pigeon est la chance unique des quatre hommes, car le radio n?a eu que le temps d?envoyer un SOS sans préciser leur position. «Lequel est-ce ?», demande le copilote. Avec d?infinies précautions, le commandant ouvre la porte de la cage, en extrait l?oiseau et le bascule sur le dos. Le long de sa patte, un tube minuscule et un petit morceau de plastique avec le n°813. «C?est Max», dit William, qui sort du tube le mince rouleau de papier vierge qui va leur servir de missive. Tandis que le copilote écrit, en lettres capitales, leur position, chacun des quatre hommes fait secrètement une prière pour que le messager arrive à bon port. A perte de vue, c?est la mer et seul le bruissement des vagues trouble le silence rempli d?angoisse. Maudite soit la fatalité qui a déposé ces quatre hommes, là, dans un canot aussi minuscule qu?un grain de sable sur l?immensité de l?océan. Le message remis en place et le tube bien fermé, le commandant lance le pigeon dans l?espace? «Allez, Max, et bonne route !» L?oiseau s?envole, décrit quelques cercles au-dessus du canot et, à la surprise générale, redescend comme une pierre se poser sur le bord du pneumatique. William recommence son lancer, non sans sermonner le pigeon, ce qui amène un sourire sur les lèvres de ses compagnons. «Tu vas travailler, oui ? C?est le moment ou jamais.» Cette fois, l?oiseau volette autour du canot, fait semblant de s?éloigner et brusquement revient à son point de départ. Alors on le chasse, on l?empêche de se poser, on le repousse. «Qu?est-ce que c?est que ce pigeon voyageur qui ne veut pas voyager ?» Il y a quelque chose de poignant à voir ces hommes debout, en perte d?équilibre, gesticulant et criant pour inciter leur unique chance de salut à prendre l?air, alors que l?oiseau refuse obstinément de s?éloigner. (à suivre...)