Il est raconté qu'il y avait en l'antiquité du temps et le passé de l'âge et du moment, dans le pays de Khorassân, un fort riche marchand qui s'appelait Gloire et avait un fils, beau comme la pleine lune, nommé Alischar. Or, un jour le riche marchand Gloire, déjà fort avancé en âge, se sentit atteint de la maladie de la mort. Il appela son fils auprès de lui et lui dit : «O mon fils, voici tout proche le terme de ma destinée, et je désire te recommander une recommandation !» Alischar, bien peiné, dit : «Et quelle est-elle, ô mon père ?» Le marchand GIoire dit : «Je te recommande de ne jamais te créer de relations et de ne jamais fréquenter le monde, car le monde est comparable au forgeron : s'il ne te brûle pas avec le feu de sa forge ou s'il ne te crève pas un ?il ou les deux yeux avec les étincelles de son enclume, il te suffoquera sûrement avec sa fumée ! Et d'ailleurs le poète a dit : «Illusion ! Ne crois point trouver sur ta route noire, quand la destinée t'a trahi, l'ami au c?ur fidèle. «O solitude ! chère solitude bénie, tu enseignes à qui te cultive la force qui ne dévie point et l'art de ne se fier qu'à soi-même !» Un autre a dit : «Néfaste sur ses deux faces tel est le monde, si ton attention l?examine : l'une de ses faces est l'hypocrisie et l'autre la trahison». Un autre a dit : «Futilités, sottises et propos saugrenus, c'est là le riche apanage du monde ! Mais si le destin sur ton chemin place un être exceptionnel fréquente-le quelquefois : simplement pour t?améliorer !» Lorsque le jeune Alischar eut entendu ces paroles de son père mourant, il répondit : « O mon père, je suis ton écouteur obéissant ! Que me conseilles-tu encore ?» Et Gloire le marchand dit : «Fais le bien, si toutefois tu le peux. Et n?attends point d?en être récompensé en retour par de la gratitude ou un semblable bien. O mon fils, on n'a pas hélas ! I?occasion de faire Ie bien tous les jours.» Et Alischar répondit : «J'écoute et j'obéis ! Mais sont-ce là toutes tes recommandations ?» Gloire le marchand dit : «N?éparpille point les richesses que je te laisse : tu ne seras considéré qu?en raison de ce que ta main possède sous son pouvoir ! Et le poète a dit : «Du temps de ma pauvreté, je ne me connaissais point d'amis ; et maintenant ils pullulent à ma porte et me coupent l?appétit. «Oh ! combien de féroces ennemis a domptés ma richesse, et que d?ennemis je gagnerais si ma richesse diminuait !» Puis le vieillard continua : «Ne néglige pas les conseils des gens d?expérience, et ne crois point inutile de demander conseil à qui peut te conseiller ; car le poète a dit : «Joins ton idée à l'idée du conseiller, pour te mieux assurer du résultat. Quand tu veux regarder ton visage, un seuI rniroir te suffit ; mais si c'est ton derrière obscur que tu désires inspecter, tu ne peux le tirer au clair que par le jeu de deux miroirs !» «De plus, mon fils, j'ai encore un dernier conseil à te donner. Garde-toi du vin ! Il est la cause de tous les maux. Il risque de t'enlever la raison, et de te rendre un objet de risée et de dédain. «Telles sont mes recommandations sur le seuil dernier. O mon enfant, souviens-toi de mes paroles. Sois un excellent fils. Et que ma bénédiction t'accompagne dans la vie !» Et Gloire, le vieux marchand, ayant parlé ainsi, ferma un instant les yeux et se recueillit. Puis il leva son index à la hauteur de ses yeux et prononça son acte de foi. Après quoi il trépassa dans la miséricorde du Très-Haut. Il fut pleuré par son fils et par toute sa famille ; et on lui fit des funérailles auxquelles assistèrent les plus grands et les plus petits, les plus riches et les plus pauvres. Et, après qu'on l'eut mis en terre, on inscrivit ces vers sur la pierre de son tombeau : «De la poussière je suis né et à la poussière je suis revenu, poussière moi-même ! C'est comme si je n'avais jamais vécu !» Et voilà pour le marchand Gloire. Mais pour ce qui est d'Alischar fils de Gloire, voici :... (à suivre...)