Je divorce, tu divorces, ils divorcent. Avant d?en arriver là, Peter et Marilyn Storm font des dégâts considérables. Outre les injures qu?ils se jettent à la figure, les assiettes volent bas. Ils s?appellent Storm. Cela veut dire tempête. Et la tempête est quotidienne. C?est une maison de bois, en Louisiane, avec une terrasse et des fauteuils de bois. C?est là que se réfugient les enfants quand le temps familial est trop couvert. Il y a les deux grands, dix-sept et dix-neuf ans, Winny et George, qui commentent les événements d?un air faussement détaché. «Je parie qu?il va lui flanquer une rouste ! - Penses-tu, il dit toujours ça, mais il est lâche. - Moi, à sa place, si j?étais cocu, elle prendrait une rouste. - A condition d?être irréprochable soi-même. Tu sais avec qui je l?ai vu, papa ? - Avec la blonde du drugstore ? - Exactement. Moi, j?en voudrais même pas pour cirer mes chaussures? - C?est bien ce que je disais. Elle lui rend bien la monnaie. - Okay, mais une femme c?est pas pareil. Et puis c?est ma mère. S?il lui flanque une rouste, je suis d?accord. - De toute façon, ça ne changera rien? Alors?» Winny et George, jeunes Américains fatalistes, ne se font plus d?illusion sur la solidité du foyer familial. Ils en ont trop vu, trop entendu. Winny n?attend que le divorce pour «faire la route», comme il dit. C?est-à-dire partir à l?aventure et traverser les Etats-Unis en stop. George, lui, a trouvé du travail dans une station-service. Il se consacre à gagner les 1 500 dollars qui lui permettront d?acheter une moto à crédit et de faire des courses. Ils vont filer, tous les deux, loin de ce gâchis. Reste le petit Simon. Réfugié dans un coin de la terrasse, la tête dans les mains, les doigts dans les oreilles, il essaie de ne pas entendre les hurlements de ses parents. Il a peur. Toujours peur. C?est qu?il est né en même temps qu?eux. En même temps que les hurlements. Toute sa vie depuis dix ans, n?a été que hurlements. Lui qui devait être l?enfant de la réconciliation, le lien du ménage, il n?a servi de rafistolage que durant les neuf mois de gestation de sa mère. A peine né, son premier cri a été couvert par ceux de son père, et le petit Simon en a les nerfs malades. Lui aussi aimerait bien que le divorce arrive. Ce qu?il ne sait pas, c?est l?avenir que ce divorce lui réserve. Pour l?heure, il voit surgir une mère échevelée et les yeux rouges. Elle traverse la terrasse sans se préoccuper de ses fils et saute dans la vieille Ford familiale. Winny commente : «Elle l?a eue, sa rouste !» Le père surgit à son tour, il tient une bouteille de bière à la main et la jette dans le sillage de la Ford, en criant : «C?est ça, fous le camp, bon débarras ! Moi aussi je m?en vais, j?en ai marre de cette bicoque !» George commente à son tour : «Cette fois, on tient le bon bout, les gars.» Mais comme le père se retourne vers eux, l?air mauvais, Winny et George détalent sans demander leur reste, en criant : «Salut, Simon ! Bonne chance, petit ! T?as plus qu?à choisir, mais si tu veux mon avis, accroche-toi et cours !» Le petit Simon sanglote entre ses deux genoux serrés.